Je l'étais, oui, coincé : ma première blonde est apparue quand j'avais 16 ans. (Je sais, aujourd'hui, à cet âge-là, ils ont eu le temps de divorcer et de se chicaner à propos de la garde des enfants, mais bon, on parle d'une autre époque.) Coincé, Monsieur Feu ? Plutôt, oui. Mais ce n'est pas de moi que je parle. C'est de mon équipe. (Non mais vous me suivez, oui ou non ?)
Coincé, le CH. Complètement coincé. Par son rendement de cette année, certes, mais aussi (et surtout) par sa nature.
Que le Canadien siège au quatrième rang de l'Association de l'Est en date du 7 février tient de la surprise : les « experts » prédisaient le bas-milieu du peloton à l'équipe montréalaise, en début de saison. Mais les attentes viennent avec la performance. Pense-t-on seulement que les amateurs de hockey du Québec (de Montréal, en particulier) toléreront que le CH rate les séries, advenant une débâcle printanière ? Pis encore, que le CH donne l'illusion d'être bon et se fasse rosser, mettons, par Martin Brodeur et les Devils ou par Sidney et sa banquise ?
Que le Canadien soit le Canadien, qu'il joue à Montréal le condamnent à gagner, à être bon. Il est là, le problème. Que les Montréalais le veuillent ou non, Montréal est une ville de hockey, point à la ligne. Tandis que les Expos agonisaient devant 5000 désoeuvrés qui ne pognaient pas le câble et qui étaient tannés de
Virginie, le CH jouait devant des salles combles au Centre Bell. Pourtant, alignement pour alignement, les Expos recelaient plus de potentiel que le CH. « Et la Formule 1 ? », me direz-vous. Ouais, je veux bien croire que le Grand Prix de Montréal est couru, mais on parle d'un événement qui se produit une fois par année. Combien de spectateurs dans les gradins sont en mesure de nommer tous les pilotes qui défilent devant leurs yeux plus vite que les 500 $ qu'ils dépensent pendant cette fin de semaine de juin ? Parce qu'il ne faut pas se raconter d'histoires : la F1 à Montréal, c'est beaucoup plus une sortie
jet-set qui permet de montrer ses lunettes-soleil à 400 $ qu'une passion pour les moteurs, pour le vrombissement de bombes coûteuses ou pour l'habileté à négocier dans les épingles. Au pire, c'est peut-être un hommage à Gilles Villeneuve - mais oui, vous savez le chanteur ?
Mon pays, ce n'est pas un pays...Je me ravise : Montréal est la ville
du Canadien, même pas du hockey, puisqu'elle n'a pas réussi à conserver son équipe de la LHJMQ. Et parce qu'elle vit pour le Canadien, Montréal est une maman exigeante, qui ne tolère aucun laisser-aller. Maman-Montréal, toujours aux aguets grâce à ses yeux multiples et à ses bras de pieuvre qui se font aller dans
Le Journal de Montréal, dans
La Presse, à TQS (quoique ça, ça achève...) et à la SRC en fin de soirée, surveille de près son CH et n'accepte aucun relâchement.
Maman-Montréal ne comprend pas le concept de parité. Maman-Montréal ne conçoit pas que, particulièrement depuis le
lock-out, le hockey de la LNH a changé. Les règlements se sont resserrés, le jeu est plus excitant, il y a moins de place pour les
goons (
exit, les émules de Hunter Lahache), il faut avoir du talent et vu un nombre d'équipes trop élevé qui dilue le talent, il n'y a pas dudit talent pour tout le monde. Surtout que le talent ne s'achète pas et que, même s'il était à vendre, chaque équipe est tenue de respecter désormais un plafond salarial. Bref, Maman-Montréal ne comprend pas qu'il serait normal que chaque équipe passe une année dans la cave du classement, vu la parité, et que, vu qu'il y a 15 équipes dans chaque association, qu'il serait mathématiquement « normal » que le Canadien mette une quinzaine d'années à remonter en tête du classement. (Faites le calcul : il y a 15 ans exactement que le CH a remporté la Coupe pour la dernière fois.)
Le Canadien de 2008 dans tout ça ? Il est condamné à bien paraître, parce que Maman-Montréal n'a que lui à célébrer. Maman-Montréal a renié son fils qui jouait au base-ball, n'arrive pas à aimer totalement le p'tit gros qui joue au football parce qu'il se fait toujours planter par ses camarades de classe avant la fin de l'année, et ignore complètement son fiston aux influences européennes, lui qui - le traître - préfère le soccer.
En termes clairs, Bob est mieux de bouger d'ici le 26 février. Parce que Maman-Montréal va se déplacer pour voir le spectacle de fin d'année et veut pointer fiston sur scène pour dire à ses voisines : « Regardez, c'est mon fils ! ».
Le lourd fardeau du Canadien, c'est de n'avoir jamais droit à la médiocrité; une médiocrité qui a pourtant été nécessaire à d'autres équipes. Jamais les Montréalais ne se seraient montrés aussi patients que les amateurs des Nordiques, alors que Joe Sakic traînait péniblement à sa suite une bande de perdants qui récoltait difficilement 40 points par saison, en attendant d'avoir ce qu'il fallait pour gagner (ailleurs qu'à Québec, mais c'est une vieille histoire). Jamais les Montréalais n'auraient accepté de voir croupir dans les bas-fonds du classement le CH comme c'était le cas, il y a quelques années, des Penguins de Pittsburgh (
C'était pas l'équipe de Mario Lemieux, ça, Janine ?) et des Sabres de Buffalo, deux équipes qui se sont servies de leurs échecs pour profiter d'un positionnement avantageux au repêchage qui allait leur permettre de rebâtir avec des jeunes. L'an dernier, les Sabres étaient presque imbattables dans l'Est; depuis l'an passé, les Penguins comptent sur une des attaques les plus menaçantes de la Ligue.
Jamais Maman-Montréal n'acceptera que son fils jonche le sol sans se relever, même si c'était pour que fiston ramasse au sol les nutriments qui lui manquent pour s'élever au rang des meilleurs. Et puisque les bons joueurs disponibles ne sont pas légion, et que le temps fait son oeuvre sur chacun, et que les quelques joueurs respectables en viennent tous un jour ou l'autre à prendre leur retraite... le Canadien est coincé. Il n'est pas assez bon pour remporter les grands honneurs et pas assez médiocre pour ravir les meilleurs espoirs au repêchage. Le CH est
Coincé au milieu du peloton,
Condamné à ne produire que quelques surprises occasionnelles, sans plus.
Qu'est-ce qu'on fait Bob ? Qu'en est-il de Saku, qu'on conspue sans cesse, que les enfants de Sainte-Justine aiment parce qu'il est cool (et pas beaucoup plus grand qu'eux) et parce qu'il a survécu au cancer, mais que Carbo a puni mardi soir, à juste titre, parce qu'il en a assez de voir son capitaine prendre de mauvaises pénalités ? Quelle équipe voudrait de Saku ? Et en retour de quoi ? Une douzaine de bâtons et des beignes pour tout le monde ?
Bah, au pire, on reste pris avec. Maman-Montréal pourra toujours se damner à essayer de lui apprendre le français, d'autant que
maintenant, elle pourrait disposer d'un peu plus de moyens pour le faire.
SL