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samedi 29 août 2009

Flammèche : sables (é)mouvants

Prenez quelques minutes (8 min 33, précisément) pour visionner ce qui suit. Personnellement, je ne connaissais pas cet art qu'est le dessin dans le sable. La technique de la jeune Ukrainienne est habile et l'histoire qu'elle raconte est émouvante.

Oui, il y a autre chose que des chanteurs poches dans ces concours où on cherche "du talent à revendre".

SL



jeudi 20 août 2009

Symphonies de banlieue et autres mâleries

"La virilité ne s'éprouve pas avec une femelle,
elle se prouve entre mâles." (Jean-Luc Hennig)

L'écriture s'est avérée un de mes plaisirs absolus de l'été : l'écriture de mon roman, au compte-gouttes mais quand même ; l'écriture de quelques trucs sur le fantastique aussi. Je mâchonne, je rumine, je digère, je laisse décanter les mots depuis le début de l'été ; des mots que je recracherai éventuellement dans mon roman, dans des nouvelles, dans des chroniques, dans des ouvrages théoriques - sur ce blogue, même. Mais le temps manque, et il y a déjà un moment que j'ai voulu mettre à jour ce blogue, question de parler du nouveau visage du Canadien, de la littérature, de la musique, de ma fille, de ma paternité nouvelle, de mon père... Le temps fuit et ne revient qu'amenuisé.

Et puis l'écriture, de toute façon, ce n'est pas tellement viril. Je devrais sans doute m'attarder à des passe-temps plus homme, moi dont la mâlitude a été éprouvée tant de fois au cours de l'été. Ma piscine m'a définitivement fait bannir du Paradis, et depuis deux mois saint Pierre a sans doute accroché ma photo à côté de la Grande Porte pour être sûr de me reconnaître, en temps et lieu. Mon gazon donnerait des ulcères aux organisateurs des Skins Games, et je soupçonne mes voisins désoeuvrés de conspirer pour arracher, en une horde déterminée, les pissenlits qui bravent la loi de la gravité depuis avril et que je me propose d'entailler, le temps des sucres venu. (Qui sait, peut-être mes voisins se cotiseront-ils l'an prochain pour m'offrir les services de tondeurs professionnels - ou un troupeau de chèvres qui brouteront le long de ma clôture, c'est selon.)

***
J'ai publié un livre, en juin dernier. J'en suis très fier. Le jour où j'ai reçu mes exemplaires par la poste, un ou deux voisins passaient la tondeuse. Ça n'a rien de grave en soi, mis à part l'odeur. C'est que j'ai l'habitude - un peu étrange peut-être, et sans doute pas très homme - de humer mes livres. Tous mes livres, grands et petits, minces et volumineux, bons et mauvais. Ce jour-là, mes exemplaires fleuraient l'encre neuve, le papier recyclé... et le gaz mixé pour tondeuse.

Ça n'a rien de grave en soi, sauf que mes voisins auraient peut-être préféré que je passe un peu moins de temps le nez dans mes livres (au sens propre, cette fois-là) et un peu plus sur mon terrain. (Je vous ai parlé de mon gros érable, dont quelques branches hirsutes trahissent son âge avancé et semblent m'implorer d'abréger leurs souffrances?) C'est comme présentement : tandis que je mets à jour cet espace que j'ai négligé depuis plus de trois mois, ma fille de presque neuf mois endormie à mes côtés, je pourrais esquisser des croquis du perron qui est à refaire - le bois est pourri et attire les perce-oreilles, dixit Conan l'Exterminateur, qui est venu me débarrasser de cinq-six fourmis, il y a un mois.

Au lieu de ça, je me régale d'écrire en buvant un café. Quitte à ce que ça se passe dans mon sous-sol, dans une pièce que d'aucuns jugeraient étouffante. Parce que j'aime ça.

Parce que, contrairement à mes voisins, je me réalise autrement que dans l'entretien de mon gazon. Et ça fait de moi - pôôôôôvre petit moi, dirait quelqu'un que mes voisins ont sans doute oublié - quelqu'un de pas très homme. Il faut voir mon voisin d'en arrière passer scrupuleusement sa tondeuse trois fois la semaine, sans doute pour tuer l'ennui - et peut-être pour éviter de baiser sa femme, qui fume comme la Daishowa et s'en prend sans doute plus passionnément aux Floralies qu'elle a aménagées dans sa cour qu'au membre retraité de son mari. Pas plus tard qu'hier, ce même homme - sympathique, malgré tout - m'apprenait le comble de l'oisiveté qui prend d'assaut la mâlitude, à l'âge de la retraite : dans sa piscine creusée jusqu'aux hanches, il parcourt, véritable limace, le pourtour de sa piscine muni d'un linge, à l'attaque de la moindre saleté. Pendant ce temps, je lis bien quiètement sur mon patio déjà à repeindre, contemplant de temps à autre ma piscine hors terre, dont le fond est parsemé de sable depuis deux mois. Et je pense aux Voisins de Meunier.

Dans mon quartier, aucune journée ne passe sans qu'on entende une tondeuse ou un banc de scie. Voilà une autre activité très homme, dans ma banlieue. On rivalise d'originalité, en matière de rénovations. J'ai cessé depuis longtemps déjà de me demander ce que je pourrais faire pour enterrer la symphonie qui s'ébat jour après jour. D'autres, apparemment, n'ont pas baissé les bras : dans la rue d'à côté, quelqu'un a trouvé - un marteau-piqueur. Il fallait y penser. C'est sans doute ce qu'on veut dire quand on parle de voisins gonflables...

***

Parmi la meute, je fais souvent figure de perdant. Je ne connais aucun autre propriétaire qui a besoin chaque année d'aide extérieure pour ouvrir sa piscine... C'est mon Adorable C. qui a repeint la chambre à coucher cet été - il me faudrait des numéros sur les murs et des lignes pointillées pour ne pas dépasser. Dans un ultime effort visant à me prouver que je sais faire ce que fait un vrai gars, celui qui ne perd pas de temps à lire des romans au lieu de faire lui-même son changement d'huile, je me suis donné une autre chance : j'ai saisi le rouleau et la perche... et j'ai cassé la perche.

Vous en voulez encore ?

Ma blonde connaît plus les chars que moi.

J'ai appris il y a trois semaines - près de cinq ans après l'achat de ma maison - où se situe la valve qui régule l'entrée d'eau dans ma demeure.

Je suis mauvais dans tous les sports que je pratique, et c'est un de mes grands regrets de féru de sport. J'ai cessé de jouer au hockey cosom cette année, après un essai de deux ans. J'ai masqué l'affaire derrière le prétexte du manque de souffle. En réalité, je suis incapable de supporter d'être franchement pourri quand je pratique mon sport préféré. Je n'ai aucun atout : pas de lancer, pas de vision du jeu, pas de talent de passeur. Si au moins je pouvais être le goon... et encore : mon poing, plutôt timide, n'a jamais rencontré de mâchoire et s'est toujours contenté de blanchir sa rage dans ma poche. J'ai recommencé à tâter ma raquette de tennis cet été - le plus souvent, je me fais rincer, et mon service de type badminton fait sans doute l'envie des bambins que leurs parents poussent dans les balançoires, tout juste à côté du court.

Ma blonde - encore elle! - nage avec grâce ; je me débats pour éviter le fond.

Je frémis à la simple pensée des tablettes que je dois installer depuis près d'un mois dans mon sous-sol. J'ai changé mes poignées d'armoires il y a deux ans - j'en ai accidentellement troué une avec une vis.

Elle était en acier brossé.

Rien, entre mes mains, ne peut être simple. Je multiplie par deux, parfois trois, le temps qu'indiquent les manuels de montage de meubles Ikea. Quelqu'un m'a dit un jour que ces choses s'apprennent. C'est faux : on n'enseigne pas à un sourd à avoir l'oreille absolue. L'emplâtrerie, c'est inné. À preuve, j'ai songé à concevoir mon propre cerf-volant, quand j'avais environ 10 ans. Je m'étais muni de quelques deux par quatre...

Je vous le dis : je ne suis pas un vrai gars. Je n'ai de l'Homme - celui qui chante "haï-ho" en rentrant du boulot dans un pick-up transportant son quatre-roues, sa moto et son méga-coffre à outils - que l'orgueil ; et l'impatience ; et la colère. À preuve : je suis en train d'écrire au lieu de me branler en consultant la circulaire Canadian Tire.


***

Au moins, il y a ma fille pour me rappeler quelle équipe m'a repêché à la naissance. Si seulement elle m'avait permis de croire, dans ses premiers mois d'existence, qu'elle avait besoin de son père au moins presque autant que de sa mère... Le jour de l'accouchement, à l'hôpital, ma blonde et ma fille avaient un vrai lit ; moi, je me tassais sur un lit de camp qui cachait mal ses antécédents de siège d'autobus Blue Bird. Après tout, le père n'est que la semence, non? Mais je ne dirai pas que le système ne tient pas compte de moi. On prend bien soin de me faire parvenir par la poste une petite lettre bleue dont la narratrice est ma fille - pas mal pour un poupon qui ne fait encore que babiller. On cherche bien sûr à me rappeler que j'ai à voir dans l'avènement de ce petit être nourri et rassuré exclusivement par sa mère pendant 6 mois, question de me dissuader de partir, au cas où je considérerais la grande évasion.

Depuis un mois et demi, je nourris ma petite. Aucun danger qu'elle n'attrape de microbes : j'ai les mains propres de celui qui n'a jamais caressé un moteur (j'aurais bien trop peur de flatter le coffre à gants et d'être le seul à ne pas le savoir).

Dans moins d'une semaine, j'aurai le sort de ma fille entre mes mains - ces mains gourdes qui ne savent rien faire de masculin. Je devrai ruser pour lui faire oublier sa mère. Car au moment où je termine ce texte, il y a plus de 24 heures que j'ai mentionné que ma fille dormait à mes côtés. Entre-temps, elle m'a fait la vie dure. Angoisse de séparation, qu'ils appellent ça. (Il est bien sûr question de la séparation d'avec la mère - pourquoi serait-elle angoissée de se séparer de son père, cet accessoire, de toute façon?)

Les hommes d'une autre époque - les vrais, ceux comme mon voisin d'en arrière, qui a installé deux spots sur sa maison cette semaine, sans doute pour mieux se voir astiquer son foyer en brique ou cirer son char même à la brunante - avaient probablement compris qu'il ne leur servait à rien de rester à la maison, et qu'ils étaient plus utiles dans les chantiers, ou au garage, ou à la shop. Là, on leur apprenait à couper des arbres, à démonter un moteur, à changer un chauffe-eau. Et à ne pas faire semblant d'être autre chose que des hommes. Le mandat avait l'avantage d'être clair.

Je me moque depuis des dizaines de lignes, mais c'est par jalousie crasse. Parce que j'aimerais pouvoir revendiquer, comme mon meilleur chum, la construction de mon deck de piscine. J'aimerais, comme un autre, décider, en me levant un matin, que je refais mon sous-sol, ou que je repeins le patio, ou que je construis un cabanon. J'aimerais me présenter dans le vestiaire et percevoir le soulagement de mes coéquipiers, qui seraient rassurés que le meilleur marqueur de l'équipe joue ce soir. J'aimerais pouvoir affirmer que je suis un vrai gars. Parce que j'ai beau sourire en voyant mon voisin d'en arrière traiter sa pelouse, j'envie un peu ce qu'il a.

Parce que j'ai eu le malheur d'y goûter, ne serait-ce qu'une fraction de seconde.

Récemment, un dégât d'eau dans le sous-sol a entraîné une âme charitable à me prêter sa Shop Vac. Le jour venu de rendre l'objet à son propriétaire, je suis sorti le nettoyer dans ma cour. Et j'ai eu l'impression d'être comme tous les hommes de ma rue, d'enfin me voir remettre le chandail aux couleurs de mon équipe.

Et je ne peux malheureusement pas dire que je n'ai pas aimé le sentiment d'être un vrai gars. Pendant une fraction de seconde.

SL