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dimanche 27 décembre 2009

Parler pour ne rien entendre

Je n'ai jamais aimé la messe du 24 décembre.

Quand j'étais plus jeune, c'était parce qu'elle agissait comme une espèce de tampon entre l'arrivée de la visite et la distribution des cadeaux ainsi que le moment où ma tendre mère exhibait toute la bouffe qu'elle avait amoureusement préparée dans le mois de l'Avent.

Aujourd'hui, ma mère n'est plus, les cadeaux sont déballés le 25 en après-midi. Et je continue de ne pas aimer la messe du 24 décembre.

Cette année, j'y étais avec mon père et mon frère. Et j'ai encore une fois éprouvé ce sentiment d'amour-haine avant, pendant et après la messe de Noël.

L'église Saint-Charles-Borromée, dans le Trait-Carré à Québec, est magnifique. Mais son jubé est mal conçu : au lieu d'être construit en gradins, comme dans la majorité des églises, il est plutôt plat. Résultat : depuis la huitième rangée du jubé, on voit à peine l'autel et le sanctuaire, et on éprouve une sensation d'étouffement qui n'a rien pour faire oublier le reste des désagréments.

Car le pire des désagréments, celui qui me fait à ce point ne pas aimer la messe du 24 décembre, c'est l'irrévérence. L'irrévérence des badauds qui s'attroupent dans une église parce qu'il n'y a pas de match de hockey pour les faire patienter pendant que cuit la dinde. Des ignares qui ne savent pas qu'on se tait dans une église, qu'on soit croyant ou pas. Tout le monde n'aime pas les livres, mais tout un chacun sait qu'il faut observer le silence dans une bibliothèque. Or, une église est une bibliothèque; une bibliothèque dont l'unique Livre raconte l'histoire des civilisations occidentales, mais aussi le passé et la tradition de chacun des humains qui s'y masse. L'histoire est éculée, certes, peut-être même que sa finale est prévisible (Jésus-Christ ressuscite chaque année - on a délaissé Jason Voorhees, Freddy Krueger et Michael Myers pour bien moins de retours anticipés); peut-être encore qu'elle ne comporte pas assez d'effets spéciaux ou qu'il faudrait qu'elle soit lue sur une trame sonore garnie des hits des Black Eyed Peas et de Lady Gaga. Peut-être encore que certains sont lassés de se faire raconter une histoires dans laquelle le bon gars gagne à la fin : après tout, qui n'a pas aimé la finale du Silence des agneaux qui montre ce bon vieux gastronome d'Hannibal qui se fond dans un paysage sud-américain, libre comme l'air?

Je me relis et je me trouve vieux jeu. Je crois entendre mon père, un homme de 66 ans qui tient à certains principes et, surtout, qui est parfois bien grincheux. Surtout depuis que maman est morte.

Mais mon père connaît les vertus du silence. Trop bien, sans doute. Un de mes moments préférés de la messe de Noël, s'il en est un, c'est l'attente pendant les minutes qui précèdent le début de la messe. C'est là que sont chantés les cantiques de Noël. Et il ne faut pas me faire rater mes cantiques. "Minuit chrétien" est pour moi aussi propice à la méditation que le "Hallelujah" de Cohen. Hélas, rares sont les chanteurs d'église (des chanteurs du dimanche, donc...) qui savent atteindre la note clé qui en marque l'apothéose. Mais je suis sans doute trop exigeant. Il fallait voir mon père, cette année, laisser librement ruisseler les larmes sur ses joues ridées par le chagrin de la dernière année, sur un fond de "Minuit chrétien" bien grave. Franchement émouvant pour le fils que je suis.

Pendant ce temps, les idiots qui ont pris d'assaut l'église la plus proche des dépanneurs, question de pouvoir ramasser la dernière caisse de Coors Light tout de suite après la messe, discutent de la température, du vieil oncle qui va sans doute encore se saouler. Peut-être même l'oncle en question est-il là, quelque part, son flasque emmitouflé dans le manteau , prêt à être dégainé pour concurrencer le vin de messe du curé officiant (ça s'est vu, vous savez...).

Je suis sans doute vieux jeu. Croyant aussi, même si j'ai cessé de pratiquer il y a un moment, pour des raisons trop humaines. Mais j'abhorre la messe du 24 décembre parce qu'on ne la respecte pas. C'est un paradoxe regrettable. Chaque année, c'est immanquable, je passe une heure dans une église, là où je me sens habituellement en paix, à conspuer intérieurement les parents irresponsables qui ont traîné leurs enfants là où ils sont trop jeunes pour comprendre; à les conspuer de refuser de se soustraire à ceux qui, comme moi, cherchent un espace de recueillement, tandis que leurs insupportables mioches font savoir à tue-tête qu'ils n'ont pas d'affaire dans une église. Pas aussi jeunes. (Mes parents étaient/sont très pieux, et mon frère et moi n'avons pas mis les pieds dans une église avant l'âge de 6 ou 7 ans.)

Je déteste voir les gars agir comme des gars et les filles agir comme des filles. Voir un ado de 15 ans chercher à impressionner sa cousine parce que c'est la seule fille avec qui il est capable de s'offrir du temps; je déteste voir son cousin ou son ami, trois rangs devant moi, s'esclaffer chaque fois qu'un chanteur rate une note ou que le curé parle de la paix plutôt que de la guerre. Ça ne fait pas très masculin, propager la paix; il vaudrait bien mieux vanter le mérite des soldats canadiens - surtout ici, à une vingtaine de kilomètres de Valcartier, non?

Je me désole, chaque année, de cette tradition qui se perd. Je devrais plutôt dire de cette tradition qui persiste mais pour les mauvaises raisons. On va à la messe de Noël parce que c'est ce qu'il faut; parce qu'il faut y être vu; parce que c'est l'occasion pour le cousin de faire rire la cousine là où c'est interdit. Parce que c'est l'occasion pour les nouveaux parents de montrer à leur progéniture, avec condescendance, que c'est ici, dans ce genre de bâtiment, que les gens, autrefois, venaient prier le ti-Jésus, une sorte de Wilfred qui a gagné la compétition de son époque en acceptant de se faire crucifier live (non, Mégane, ça n'a pas été filmé) au lieu de frencher deux filles à la fois dans le spa à V-Télé (non, Louis-William-Éloi-Guillaume, tu ne peux pas texter ton vote pour Jésus).

Je secoue la tête, encore cette année, en voyant les bancs se vider après la communion. Surveillez-les bien : ce sont vos oncles, vos tantes ,vos cousins et cousines qui partiront de chez vous repus avant le moment de faire la vaisselle.

Je suis grincheux. Ça me fait penser que je dois aller voir Scrooge. Parce que ça me tente. Comme ça me tentait d'aller à la messe de Noël, parce que trop souvent ces dernières années, je ne pouvais y aller et je m'en désolais.

Je me désole aussi de cette visite à l'église, le 24 décembre, qui est aussi vide de sens pour un grand nombre de gens que s'ils avaient opté pour la Fudgerie Doucinet, un musée du chocolat qui se trouve à quelques pas de l'église. Je ne suis plus praticant, mes motifs n'ont donc rien de propagandiste. Je pense comme Pierre Bourgault, qui, il y a une dizaine d'années, s'était opposé à la laïcisation des écoles, alors qu'il avait des tonnes de reproches à adresser à l'Église catholique.

La religion fait partie de l'Histoire. C'est ce dont j'aimerais que soient conscients les imbéciles qui vont étrenner leur nouveau manteau à l'église.

SL

dimanche 22 novembre 2009

Flammèche : des calories, encore des calories!

Regardez ce qui suit et écrivez-moi, si ces images vous ouvrent l'appétit... Personnellement, j'ai pris 5 livres juste à les observer.









SL (*burp*)





mercredi 18 novembre 2009

Sur la route

"Et nos poèmes encore s'en iront sur
la route des hommes, portant semence et fruit
dans la lignée des hommes d'un autre âge."
- Saint-John Perse, Vents -


Samedi dernier, le trio dont je fais partie, les Acolytes Anonymes, se produisait à Saint-Raymond, dans Portneuf. C'était notre petit trip, modeste, de stars du rock. Un trip que chaque gars rêve de vivre à un moment donné au cours de son existence.

J'ai fait partie de plusieurs bands. Dès le secondaire 3. Mon premier trip, c'était le show de fin d'année, à la polyvalente. Cinq après-midis, deux soirs. Sept fois dans la semaine, nous nous produisions devant une foule de 250 personnes. L'auditorium était toujours à guichets fermés - il faut dire que le show était gratuit et que les cours étaient suspendus pour la présentation du spectacle, mais ça, on s'en foutait. Les gens auraient été forcés de venir nous voir avec un fusil sur la tempe qu'on aurait joui quand même. L'espace d'une semaine, la vingtaine d'étudiants boutonneux que nous étions à participer à ce spectacle monté tout au long de l'année scolaire nous donnait l'impression d'être en tournée.

Samedi dernier, je me suis replongé dans ce feeling l'espace d'une dizaine d'heures. Sur la route, avec mon comparse Dédé T., guitariste et harmoniciste émérite, on jase de mon autre band, on parle de nos aspirations musicales, de mon rôle de chef d'orchestre désigné, des frustrations qui viennent avec cette responsabilité. On regarde défiler le paysage de Portneuf, on résiste à l'effet de la grisaille. L'adrénaline commence à frétiller dans le détour de l'intestin grêle. Quelque part par là. "C'est quelque part par là", qu'on se dit en observant Joss, notre guide, le Raymondois qui nous attire dans son antre.

Les tests de son de l'après-midi me font me sentir loin de la maison. La salle est intimidante. L'estrade est proche de la scène (quelle scène, en fait ? parce que ce qui sert de stage est un semblant de promontoire de plus ou moins un pouce de "hauteur").

J'ai donné des dizaines de spectacles dans ma vie. Je ne suis pas un pro, mais j'ai appris à amadouer le trac, à l'éradiquer même. Mon métier d'enseignant y est sans doute pour quelque chose. Samedi, la nervosité était à zéro. Le technicien de son y est aussi pour quelque chose : il me gratifie du meilleur son de guitare acoustique que j'aie eu depuis que les Acolytes existent et jouent "un soir à la fois".

***
Un beau moment, en fin d'après-midi. Mes comparses et moi allons casser la croûte à la Brasserie Bédard, une place de gars où on compte toutefois plus de femmes, à l'heure de notre arrivée. Le match Sénateurs/Rangers tire à sa fin. Tant mieux, je pourrai écouter attentivement ce que mes acolytes ont à dire.

Des discussions agréables, profondes, même, à trois heures du spectacle. Au lieu de traiter des enchaînements entre les pièces, je soûle mes deux amis de ma vision de la musique, de cette maudite tare qui ralentit sa progression au Québec et ailleurs. Je m'écoute parler et j'essaie de me dire que je pourrais écrire un billet là-dessus, ici. Ou un essai que j'essaierais de faire publier, tellement il y a à dire, à décrier. On parle de théâtre, d'écriture. Faut dire qu'aucune groupie ne nous fait de l'oeil. À la table voisine, trois vieilles femmes, peut-être veuves, sont le visage de la désolation. Deux d'entre elles sont assises, côte à côte, se parlent occasionnellement sans se regarder en face - c'est lorsqu'elles n'épient pas, à distance, leur consoeur qui épuise son chèque de rentière dans chacune des quatre ou cinq machines à sous qui tintent à ma droite. Le jeu maladif ne regarde pas l'âge. La vieille tête blanche mange à peine; le clignotement coloré de l'écran et l'appât du gain sont sa nourriture.

J'ai trop mangé. Voilà pourquoi il fallait souper au moins deux heures avant le spectacle. Question de rester poli au micro.

À la caisse pour payer, je remarque une dame qui nous a remarqués. On n'est pas connus, sinon que de face, peut-être même pas de profil. Mais la dame est observatrice et se souvient d'avoir vu nos trois minois sur des affiches, chez Uniprix.

***

Trente personnes. Trente braves, certains qui ont parcouru la distance depuis Québec. Ils donnent parfois l'impression d'être le double. Mon adorable C. est indispensable : elle mène les claques, rit, frappe des mains, anime presque la foule. Je l'adore. Encore et toujours.

Vingt-neuf pièces plus tard, une corde et quelques doutes en moins, nous sommes contents. J'ai des réticences : on aurait dû être mieux préparés, on aurait pu mieux enrober la musique, parler mieux, parler plus, interagir les uns avec les autres. Je suis un chiâleux émérite et un perfectionniste fini.

On a droit au traitement royal : de la bouffe et de l'alcool sur le bras de l'Espace culturel, qui nous a accueillis comme des mages, moins la myrrhe. J'espère qu'on n'a déçu personne.

On se permet d'autographier notre affiche, avant de quitter l'enceinte. Comme Ariane Moffat et Richard Séguin l'ont fait, dans un des corridors de l'endroit. Tant qu'à se prendre pour des pros... J'arrache une des affiches avant de partir - je prends soin de m'assurer que ce n'est pas celle qu'on a autographiée. J'ai déjà cette affiche à la maison - c'est moi qui l'ai conçue. Mais l'ajout de la date, maladroitement modifiée à la main, donne de la vraisemblance à tout ça.

Je rentre à une heure du matin. Vanné. Avec la voix de Mad Dog Vachon.

Ma fille s'est réveillée. Elle n'est plus endormable. Dès qu'on tente de la mettre au lit, elle hurle.

Elle a, hélas, hérité de la voix de son père.

SL


samedi 17 octobre 2009

Égoïsmes ou Quelques vers et quelques éclats de verre

"Un seul être vous manque et tout est dépeuplé"
Alphonse de Lamartine, "Le lac"

Une amie s'est suicidée au cours de la dernière semaine. Jusque-là, j'avais été exempté d'être touché par cette espèce de loterie morbide (in)digne de celle que racontait Carmen Marois dans une de ses nouvelles ("La loterie", dans L'amateur d'art, éditions Préambule, 1985).

Marylène vient d'enlever au monde une belle âme. Une belle personne. Un grand talent. Une auteure-compositrice-interprète responsable, engagée, lumineuse même, aussi étrange que peut paraître l'épithète aujourd'hui. Une enseignante-guide comme il s'en fait sans doute trop peu.

J'avais publié, il y a plusieurs années, un humble texte que je n'arrive pas à retrouver, à la suite du suicide d'un jeune homme de 14 ans, originaire de mon coin de pays. La nouvelle m'avait secoué, comme la ville entière bien entendu. J'avais mis en parallèle le décès inopiné de ce jeune homme avec les prouesses de jeunes lutteurs de 16 à 25 ans que j'étais allé voir dans le sous-sol d'un centre communautaire à Limoilou. Mon titre : "Le goût de vivre", emprunté à celui d'une nouvelle de Stephen King. Grosso modo, je relevais la passion de ces jeunes athlètes insouciants qui, paradoxalement, mettaient leur vie en jeu, ni plus ni moins, chaque vendredi soir pour l'amour du spectacle qu'ils offraient. Et je supputais que le jeune suicidaire de 14 ans n'avait peut-être pas de passion qui lui eût permis de s'accrocher à la vie.

Chaque nouveau suicide éradique les conjectures qu'on avait prises pour des certitudes. Il y a un mois, une jeune fille de 7-8 ans s'est jetée du haut du pont, derrière la propriété de mon père. Heureusement, elle s'en est sortie. On pourra sans doute lui demander si, à son âge, il est possible d'avoir (déjà) une passion - et s'il est possible d'être déjà désemparée au point de refuser de vivre.

Marylène était une passionnée comme j'en connais peu. Et vlan. Une autre théorie fumeuse partie en fumée.

La mort fait de nous des vers. Des vers qu'on sectionne en deux et qui, sous l'effet de choc, s'agitent en tous sens à la recherche de la suite d'eux-mêmes. Et quand on les observe attentivement, on les voit se recroqueviller, ramener vers eux cette extrémité mise à vif, comme pour protéger ce qu'il reste de ce qu'ils ont été.

S'il recelait une part d'humanité, le ver tendrait probablement un miroir devant son embout meurtri; question de s'imaginer encore complet, question de mettre une image sur cette partie de lui-même qu'il sent encore palpiter jusque dans sa tête.

***

Le suicide de Marylène m'expose mon égoïsme. Le sien. Pourquoi laisser en friche les racines du bonheur qui avaient timidement crû dans cette terre qu'on ne jugeait plus arable? Pourquoi amputer d'elle-même tous ceux qui l'aiment - et celui qu'elle a créé du bout des doigts, de lumière et d'espoir?

Aujourd'hui, le ver que je suis cherchait un miroir. Je me suis fait prendre au piège. J'ai imité la mère de Lance, le suicidaire de Gazole, ce petit roman sombre de Bertrand Gervais que j'enseigne - manifestement pas assez. J'ai voulu mettre de l'ordre dans ma demeure à défaut de pouvoir en mettre dans ma poitrine. Je me suis laissé happer par le quotidien, par l'ampleur de l'inutile. J'ai tendu mon miroir à mon adorable C., ne voyant pas qu'il s'agissait d'un mur me coupant de sa douleur. Parce que tous les vers ne reviennent pas à la même vitesse vers la lumière. Certains se dépêchent de revenir y chercher l'autre partie de soi qui est disparue; d'autres sont incapables de tolérer le soleil qu'on leur inflige et risquent de sécher à mort si on leur impose trop vite le retour de la lumière.

***

Je me suis cru fort. Je me suis regardé aller, après le décès tout aussi inattendu et frustrant de ma mère, il y a presque 9 mois. Je me suis vu aimer encore plus les miens; façonner du mieux que je le peux un autre humain; écrire à un rythme que je ne me connaissais pas; faire encore plus de musique pour renoncer au silence.

Je me suis cru fort. J'ai mis mon miroir en place pour bien m'y voir la face et pour ne jamais perdre de vue ce qui filait, derrière moi, dans le rétroviseur. J'ai cru que rien de bien menaçant pouvait se terrer au-delà de ce miroir. J'ai cru que j'avais évité la dérive de mon père et les démons de mon frère.

En clair, j'ai vu mon père pleurer sa femme; je l'ai vu, il y a encore deux semaines, furieux d'avoir à se reconstruire une existence. J'ai vu mon frère dans tout ce qu'il regorge de courage, l'ai vu combattre les images d'une mère agonisante, l'ai vu tenter de séduire le sommeil chaque soir, angoissé à l'idée d'être visité par le faciès souffrant de ma mère et le deuil d'avoir perdu sa meilleure amie, son modèle. Je me suis vu continuer, m'étonnant discrètement d'avoir traversé la brousse sans retenir trop de chardons.

La mort de Marylène me pète le miroir en pleine face. Me fait voir en kaléidoscope ce qu'il reste de moi. Me montre que, si j'ai planté ce miroir devant ma face, c'était pour ne pas voir plus horrible encore que ce qui s'éloignait derrière moi.

Depuis ma mère, je combats la peur terrible de perdre mon adorable C. Parce que je vois depuis 9 mois mon père essayer de s'engendrer lui-même à nouveau; je le vois désamarré, évitant chaque jour un peu moins le naufrage.

Je me vois paniquer chaque fois que mon adorable C. a mal au ventre. Chaque fois qu'elle a mal à la tête. Chaque fois qu'elle se sent fatiguée.

Je me suis cru fort. Je n'ai pas senti grouiller en moi les effets de la disparition de ma mère.

Depuis Marylène, je pense à Étienne, le pire d'entre tous. Un gars que je ne connais que de vue, pas même de voix. Une version plus jeune de mon père, une version à laquelle je refuse de croire. Un calque que je veux garder loin de moi. Parce que je ne me veux pas dans sa peine, dans son désarroi. Son fils d'un an s'en remettra; lui n'a pas eu le temps de voir ce dont était capable la femme qui a cessé de choisir la vie la semaine dernière.

Parce que ce qu'il y a de pire après la mort, c'est qu'il reste des vivants.

Mon miroir éclaté m'ouvre le ventre en kaléidoscope, me révèle ma plus terrible peur, dévie la lumière vers ma force défigurée. C'est mon angoisse de perdre qui hurle en filigrane quand je crie ma hâte que revienne le soleil. Sache-le, mon adorable C.

J'ai cru être prêt pour la lumière; sans m'en rendre compte, je suis un ver qui tâte encore sa douleur à la recherche de cette partie dont on l'a dépossédé. Je me regarde les pieds et les mains, je regarde le quotidien, pour me convaincre que rien n'a changé, que tout est encore en place. Je respire l'arôme de la mort qu'a laissé sur moi une Marylène que je ne connaissais pas assez, parce que mes sens ne sont plus d'aucun secours pour tenter de la saisir, elle.

Je pense à Étienne derrière Marylène. Je pense à Étienne après Marylène. Parce que je sais qu'à sa place je serais vide.

SL



mercredi 7 octobre 2009

Problème classique

Ce matin, j'écoutais Radio Classique en revenant à la maison. Le temps était maussade; les vitres de l'auto, pisseuses. Un temps pour filer doux, mollo, pour lire et écrire. La circulation était lente sur l'autoroute : personne n'avait envie d'aller au bureau (ou de retrouver sa femme à la maison, c'est selon).

Une sonate de Scarlatti jouée apparemment par un jeune prodige chinois qui a choisi de faire autre chose que du sport (comme les autres de son quartier, dixit l'animateur) ou des bibelots en série pour le compte de Dollarama (dixit moi-même). Une belle pièce, avec des enchaînements difficilement prévisibles - à moins que vous soyez Scarlatti lui-même, ce qui est peu probable : vous seriez italien, ne liriez pas le français (surtout pas sur le Net) et, surtout, vous seriez mort depuis longtemps. Oublions cette hypothèse.

Le hic, c'est que je n'ai pas retenu le titre de ce morceau. Je me console en me disant que je ne dois pas être le seul. Comment garder en tête les titres des pièces classiques qu'on aime? Comment puis-je retenir "Sonate no 8, opus 22, BKR-22219", par exemple, alors que je suis incapable de mémoriser le numéro de ma carte de crédit? Je commence à peine à retenir mon numéro de membre à la Coop IGA du quartier.

Le problème avec les grands compositeurs, c'est qu'ils n'étaient bons que dans la musique. Pour les titres, ils auraient dû demander à leurs femmes, à leurs bonnes (quoique celles-ci étaient souvent aussi celles-là, alors à quoi bon demander deux fois la même chose à quelqu'un à moins qu'il ne soit sourd - et encore, ça n'en a pas empêché un de faire de la musique) ou à leur roi, tiens. Bach était-il si épuisé après avoir composé ses Variations Goldberg qu'il était incapable de fournir le "deuxième effort" (je me permets de paraphraser Tom Lapointe, ancien animateur de ligne ouverte sportive devenu félon et/ou disparu dans la nature)? C'est vrai qu'avec tous ces enfants à sa charge... Et Mozart , lui, n'a-t-il pas donné son premier concert à 5 ans? Me semble qu'on est une éponge, à 5 ans, et qu'on retient tout, qu'on a de l'imagination plus que les parents peuvent en prendre.

Ce matin, Scarlatti m'a donné une bonne raison de ne pas acheter ses disques - ça lui apprendra, tiens. J'aurais voulu, mais je ne me souviens plus du titre de sa sonate. Était-il si difficile, à l'époque, de personnaliser un peu les pièces? Je serais tellement plus à l'aise de demander au commis d'Archambault de sortir de son chapeau le dernier CD de Scarlatti contenant le tube "Baby, let me be your dandy", ou encore ce DVD de la dernière tournée de Beethoven où il joue, devant une foule en délire à Harlem, "Woo-woo, yeah, I feel like kickin' your ass"?

Vraiment aucune imagination, ces dérangés des siècles passés.

SL

jeudi 1 octobre 2009

Enfin !


J'avais arrêté de l'espérer : le nouvel album d'Alice in Chains. Quand le chanteur Layne Staley a succombé à une overdose en 2002, j'ai cru que le groupe de métal grunge était mort lui aussi. Bien sûr, le guitariste Jerry Cantrell - le cerveau derrière cette faction de l'école de Seattle, pour ainsi dire (qui a vu naître les Nirvana, Pearl Jam et autres Soundgarden pour lancer la décennie 1990) - lançait quelques albums solo intelligents (Boggy Depot, 1998; Degradation Trip, 2002) qui attestaient sans conteste du fait qu'il était la signature d'Alice in Chains; mais AIC, c'était AIC, et il manquait ce bon vieux Layne...

Et voilà qu'apparaît Black Gives Way to Blue, la renaissance d'AIC, nouveau chanteur en place (William DuVall). Le groupe s'est reformé en 2005, a tourné un peu partout dans le monde avec deux autres chanteurs avant de confirmer le rôle de DuVall sur le nouvel opus. Mais le dernier album original de la formation remontait à... 1995. C'est long, 14 ans sans nouveau matériel, sans autre chose que des compilations et des albums live...

AIC, c'est AIC : les fans (dont je suis depuis une quinzaine d'années) raffoleront sans doute de Black Gives Way to Blue et les détracteurs (y en a-t-il vraiment ?) ne seront probablement pas convertis. Parce que le nouvel album est du Alice in Chains tout craché. Même son lourd, mêmes guitares et basse gutturales; même batterie qui assoit avec lourdeur le rythme. Aux voix, DuVall, sans réussir à faire oublier Staley, s'en tire bien, avec une voix plus pure, plus lisse que celle de l'ancien chanteur. Parce que Layne, c'était Layne : un esprit torturé, un toxicomane hurlant à la face de ses démons intérieurs au moyen d'une voix rauque, un parolier racontant ses trips d'héroïne (il faut écouter ce qu'il chante sur l'album Dirt (1992) pour constater le caractère glauque que recelait son existence).

Il s'agit d'un album franchement bon, et qui me confirme le talent - j'ose dire le génie - de Cantrell. Il faut écouter les harmonies vocales complexes et riches des pièces d'Alice in Chains pour constater qu'il s'est fait du rock vocal intelligent, construit et mélodique depuis A Night at the Opera de Queen...; il faut se laisser dérouter par le caractère imprévisible des enchaînements d'accords. Ce n'est pas parce que le groupe découle du mouvement alternatif que les structures de ses pièces sont conventionnelles : on est plus loin que les simples trois power chords qui caractérisent (trop) souvent le métal et le rock en général. Et cette guitare de Cantrell qui refuse de se taire, qui se rappelle à l'auditeur entre les accords, hantant chaque pièce ou presque comme une voix qui vous murmure dans le crâne.

Mon coup de coeur ? "Check my Brain", la deuxième pièce, dont la mélodie du refrain est accrocheuse et fait presque oublier l'aspect inquiétant, presque psychotique, de l'introduction. Car Alice in Chains, c'est aussi ça : depuis les débuts du groupe, c'est la mise en musique d'états psychologiques fréquemment troubles - et ce n'est pas la mort inopinée de Layne Staley qui changera cette singularité d'AIC. Après tout, c'est le bien vivant Cantrell qui a toujours composé la musique du groupe et qui s'était offert le plaisir de concocter un rythme et un enchaînement d'accords parfaits, à la demande de Staley, sur "Sick man" (Dirt). Ce qu'on oublie trop souvent en musique, c'est que c'est de la musique, justement. (J'y reviendrai dans un prochain billet.) Et Cantrell comprend comment donner à la forme les résonances du fond - ce que, malheureusement, trop peu d'artistes savent faire, priorisant les paroles au détriment de la musique.

Black Gives Way to Blue fait du bien, et Alice in Chains est de retour, bien en vie. C'est une tonne de brique qui secoue la grisaille du paysage musical souvent vide, factice. C'est une (sur)dose d'adrénaline à l'approche de la saison morte.

SL

mercredi 23 septembre 2009

Dons de la vie, dons de Dieu, dondaine laridaine

Après huit ans et demi d'attente, d'angoisse fréquente, d'exaspération occasionnelle, de rage, de résignation, de cynisme... je suis enfin permanent. On me l'a confirmé par courriel ce matin, et je recevrai la lettre de la Direction de mon collège dans les prochains jours - que je m'empresserai de faire laminer parce qu'elle est presque aussi significative que mes diplômes universitaires. J'exagère à peine.

Qu'est-ce que la permanence changera dans ma vie ? Mon meilleur chum me disait, délicieusement cynique, que je peux dorénavant commencer à me pogner le cul au travail; et moi de lui rétorquer que je peux non seulement pogner le mien mais aussi celui de mes collègues féminines : on ne peut plus me mettre à la porte, ou c'est tout comme.

Je blague, bien sûr. Parce que j'entretiendrai le même acharnement, la même passion pour ce métier que j'adore. Concrètement, la permanence ne change pas grand-chose à ma situation - j'enseigne à temps plein depuis 5 ans sans inquiétudes. Disons simplement qu'on me confirme que je peux croire que je pratiquerai le métier que j'aime pour le reste de ma carrière sans trop avoir à m'inquiéter. À moins que la crise économique ne fasse fermer les cégeps, faute de clientèle, plus vite encore que les églises (l'ADQ serait contente) ou que Charest ne décide, à l'aide du bâillon (son arme favorite), que la permanence ne garantit plus rien.

Étrangement, je suis plus heureux que je croyais l'être de cette nouvelle, bien que je ne sois pas plus riche ni plus ancien aujourd'hui. Et je ne peux m'empêcher de croire que ma joie a à voir avec mon appartenance à la génération X, celle qui ne l'a pas eu facile, qui a dû bûcher, contrairement aux boomers qu'on est venus chercher littéralement (j'en connais) sur les bancs d'école pour leur offrir du travail, ou aux rejetons de la génération Y, qui croient que tout leur est dû et qui ne se remettent que rarement en question. Cette permanence qu'on tend vers moi, c'est une victoire de plus dans le camp de ma génération.

Depuis ce matin, je goûte cette nouvelle qu'on m'a apprise, et je souris en me disant qu'hier, la journée déjà grise du ciel pluvieux l'était encore plus en raison de ce 37e anniversaire de mariage que mon père n'a pas célébré avec ma mère, doublé de l'anniversaire de mon frère, qui ne pouvait se retenir de penser avec nostalgie à ma tendre mère et aux cartes d'anniversaire qu'elle confectionnait elle-même pour ses fils. Je souris et je me demande si ma petite maman ne se gardait pas une carte cachée dans sa manche, juste à côté du mouchoir qui fricotait chaque jour avec le parfum de son poignet. Cré maman. Il y a de ces dons que la vie vous fait qui ne savent pas passer inaperçus.

***
Voilà qui me fait penser à Plaxico Burress, l'ancienne vedette des Giants de New York, dans la NFL. Le receveur de passes format géant recevait hier en plein poitrine non pas un ballon mais bien sa sentence : deux ans de prison pour possession illégale d'une arme à feu et pour avoir mis la vie d'autrui en danger. Oui, c'est le même Plaxico Burress qui s'était fait arrêter l'an dernier après s'être tiré accidentellement une balle de revolver dans le pied...

En entrevue à ESPN, Burress, philosophe à ses heures (pas tard, pas tard...), déclarait que quand il sortira de prison, il "disposer[a] toujours de cette capacité que Dieu [lui] a donnée d'attraper les ballons".

On a les dons qu'on peut. En méditant sur ces sages paroles de footballeur, je dois me réjouir qu'on m'ait fait don de savoir lire plus creux que d'autres dans les textes et d'avoir la plume plus leste que le revolver de Plaxico. Parce que me semble que c'est triste en géribouère d'avoir reçu, de tous les dons possibles, celui d'attraper un ballon...

SL

jeudi 10 septembre 2009

Apprentissages

Avec la paternité viennent des apprentissages qu'on ne soupçonnerait pas.

Le plus étonnant : j'ai compris d'où provient le slogan qui a fait gagner Obama :




Parlant d'apprentissages. Vous vous souvenez de mon billet d'il y a deux semaines ? Je suis un traître, un vrai. En fin de semaine dernière, je me suis redonné une autre chance - même Robert Downey jr. ne rechute pas aussi souvent - : me voici, refaisant par moi-même mon perron. (Bon, on m'a donné un coup de main au départ, mais une fois les deux petites roues enlevées, j'ai saisi le guidon et je suis devenu un homme.)



Hé, combien de vos disques préférés n'étaient au départ que de purs accidents ?

(Note : Évidemment, il me reste quelques trucs à apprendre : c'est avec un niveau qu'on vérifie si le perron est bien droit, et non pas avec un walkie-talkie pour bébé... Chaque chose en son temps.)

SL

samedi 29 août 2009

Flammèche : sables (é)mouvants

Prenez quelques minutes (8 min 33, précisément) pour visionner ce qui suit. Personnellement, je ne connaissais pas cet art qu'est le dessin dans le sable. La technique de la jeune Ukrainienne est habile et l'histoire qu'elle raconte est émouvante.

Oui, il y a autre chose que des chanteurs poches dans ces concours où on cherche "du talent à revendre".

SL



jeudi 20 août 2009

Symphonies de banlieue et autres mâleries

"La virilité ne s'éprouve pas avec une femelle,
elle se prouve entre mâles." (Jean-Luc Hennig)

L'écriture s'est avérée un de mes plaisirs absolus de l'été : l'écriture de mon roman, au compte-gouttes mais quand même ; l'écriture de quelques trucs sur le fantastique aussi. Je mâchonne, je rumine, je digère, je laisse décanter les mots depuis le début de l'été ; des mots que je recracherai éventuellement dans mon roman, dans des nouvelles, dans des chroniques, dans des ouvrages théoriques - sur ce blogue, même. Mais le temps manque, et il y a déjà un moment que j'ai voulu mettre à jour ce blogue, question de parler du nouveau visage du Canadien, de la littérature, de la musique, de ma fille, de ma paternité nouvelle, de mon père... Le temps fuit et ne revient qu'amenuisé.

Et puis l'écriture, de toute façon, ce n'est pas tellement viril. Je devrais sans doute m'attarder à des passe-temps plus homme, moi dont la mâlitude a été éprouvée tant de fois au cours de l'été. Ma piscine m'a définitivement fait bannir du Paradis, et depuis deux mois saint Pierre a sans doute accroché ma photo à côté de la Grande Porte pour être sûr de me reconnaître, en temps et lieu. Mon gazon donnerait des ulcères aux organisateurs des Skins Games, et je soupçonne mes voisins désoeuvrés de conspirer pour arracher, en une horde déterminée, les pissenlits qui bravent la loi de la gravité depuis avril et que je me propose d'entailler, le temps des sucres venu. (Qui sait, peut-être mes voisins se cotiseront-ils l'an prochain pour m'offrir les services de tondeurs professionnels - ou un troupeau de chèvres qui brouteront le long de ma clôture, c'est selon.)

***
J'ai publié un livre, en juin dernier. J'en suis très fier. Le jour où j'ai reçu mes exemplaires par la poste, un ou deux voisins passaient la tondeuse. Ça n'a rien de grave en soi, mis à part l'odeur. C'est que j'ai l'habitude - un peu étrange peut-être, et sans doute pas très homme - de humer mes livres. Tous mes livres, grands et petits, minces et volumineux, bons et mauvais. Ce jour-là, mes exemplaires fleuraient l'encre neuve, le papier recyclé... et le gaz mixé pour tondeuse.

Ça n'a rien de grave en soi, sauf que mes voisins auraient peut-être préféré que je passe un peu moins de temps le nez dans mes livres (au sens propre, cette fois-là) et un peu plus sur mon terrain. (Je vous ai parlé de mon gros érable, dont quelques branches hirsutes trahissent son âge avancé et semblent m'implorer d'abréger leurs souffrances?) C'est comme présentement : tandis que je mets à jour cet espace que j'ai négligé depuis plus de trois mois, ma fille de presque neuf mois endormie à mes côtés, je pourrais esquisser des croquis du perron qui est à refaire - le bois est pourri et attire les perce-oreilles, dixit Conan l'Exterminateur, qui est venu me débarrasser de cinq-six fourmis, il y a un mois.

Au lieu de ça, je me régale d'écrire en buvant un café. Quitte à ce que ça se passe dans mon sous-sol, dans une pièce que d'aucuns jugeraient étouffante. Parce que j'aime ça.

Parce que, contrairement à mes voisins, je me réalise autrement que dans l'entretien de mon gazon. Et ça fait de moi - pôôôôôvre petit moi, dirait quelqu'un que mes voisins ont sans doute oublié - quelqu'un de pas très homme. Il faut voir mon voisin d'en arrière passer scrupuleusement sa tondeuse trois fois la semaine, sans doute pour tuer l'ennui - et peut-être pour éviter de baiser sa femme, qui fume comme la Daishowa et s'en prend sans doute plus passionnément aux Floralies qu'elle a aménagées dans sa cour qu'au membre retraité de son mari. Pas plus tard qu'hier, ce même homme - sympathique, malgré tout - m'apprenait le comble de l'oisiveté qui prend d'assaut la mâlitude, à l'âge de la retraite : dans sa piscine creusée jusqu'aux hanches, il parcourt, véritable limace, le pourtour de sa piscine muni d'un linge, à l'attaque de la moindre saleté. Pendant ce temps, je lis bien quiètement sur mon patio déjà à repeindre, contemplant de temps à autre ma piscine hors terre, dont le fond est parsemé de sable depuis deux mois. Et je pense aux Voisins de Meunier.

Dans mon quartier, aucune journée ne passe sans qu'on entende une tondeuse ou un banc de scie. Voilà une autre activité très homme, dans ma banlieue. On rivalise d'originalité, en matière de rénovations. J'ai cessé depuis longtemps déjà de me demander ce que je pourrais faire pour enterrer la symphonie qui s'ébat jour après jour. D'autres, apparemment, n'ont pas baissé les bras : dans la rue d'à côté, quelqu'un a trouvé - un marteau-piqueur. Il fallait y penser. C'est sans doute ce qu'on veut dire quand on parle de voisins gonflables...

***

Parmi la meute, je fais souvent figure de perdant. Je ne connais aucun autre propriétaire qui a besoin chaque année d'aide extérieure pour ouvrir sa piscine... C'est mon Adorable C. qui a repeint la chambre à coucher cet été - il me faudrait des numéros sur les murs et des lignes pointillées pour ne pas dépasser. Dans un ultime effort visant à me prouver que je sais faire ce que fait un vrai gars, celui qui ne perd pas de temps à lire des romans au lieu de faire lui-même son changement d'huile, je me suis donné une autre chance : j'ai saisi le rouleau et la perche... et j'ai cassé la perche.

Vous en voulez encore ?

Ma blonde connaît plus les chars que moi.

J'ai appris il y a trois semaines - près de cinq ans après l'achat de ma maison - où se situe la valve qui régule l'entrée d'eau dans ma demeure.

Je suis mauvais dans tous les sports que je pratique, et c'est un de mes grands regrets de féru de sport. J'ai cessé de jouer au hockey cosom cette année, après un essai de deux ans. J'ai masqué l'affaire derrière le prétexte du manque de souffle. En réalité, je suis incapable de supporter d'être franchement pourri quand je pratique mon sport préféré. Je n'ai aucun atout : pas de lancer, pas de vision du jeu, pas de talent de passeur. Si au moins je pouvais être le goon... et encore : mon poing, plutôt timide, n'a jamais rencontré de mâchoire et s'est toujours contenté de blanchir sa rage dans ma poche. J'ai recommencé à tâter ma raquette de tennis cet été - le plus souvent, je me fais rincer, et mon service de type badminton fait sans doute l'envie des bambins que leurs parents poussent dans les balançoires, tout juste à côté du court.

Ma blonde - encore elle! - nage avec grâce ; je me débats pour éviter le fond.

Je frémis à la simple pensée des tablettes que je dois installer depuis près d'un mois dans mon sous-sol. J'ai changé mes poignées d'armoires il y a deux ans - j'en ai accidentellement troué une avec une vis.

Elle était en acier brossé.

Rien, entre mes mains, ne peut être simple. Je multiplie par deux, parfois trois, le temps qu'indiquent les manuels de montage de meubles Ikea. Quelqu'un m'a dit un jour que ces choses s'apprennent. C'est faux : on n'enseigne pas à un sourd à avoir l'oreille absolue. L'emplâtrerie, c'est inné. À preuve, j'ai songé à concevoir mon propre cerf-volant, quand j'avais environ 10 ans. Je m'étais muni de quelques deux par quatre...

Je vous le dis : je ne suis pas un vrai gars. Je n'ai de l'Homme - celui qui chante "haï-ho" en rentrant du boulot dans un pick-up transportant son quatre-roues, sa moto et son méga-coffre à outils - que l'orgueil ; et l'impatience ; et la colère. À preuve : je suis en train d'écrire au lieu de me branler en consultant la circulaire Canadian Tire.


***

Au moins, il y a ma fille pour me rappeler quelle équipe m'a repêché à la naissance. Si seulement elle m'avait permis de croire, dans ses premiers mois d'existence, qu'elle avait besoin de son père au moins presque autant que de sa mère... Le jour de l'accouchement, à l'hôpital, ma blonde et ma fille avaient un vrai lit ; moi, je me tassais sur un lit de camp qui cachait mal ses antécédents de siège d'autobus Blue Bird. Après tout, le père n'est que la semence, non? Mais je ne dirai pas que le système ne tient pas compte de moi. On prend bien soin de me faire parvenir par la poste une petite lettre bleue dont la narratrice est ma fille - pas mal pour un poupon qui ne fait encore que babiller. On cherche bien sûr à me rappeler que j'ai à voir dans l'avènement de ce petit être nourri et rassuré exclusivement par sa mère pendant 6 mois, question de me dissuader de partir, au cas où je considérerais la grande évasion.

Depuis un mois et demi, je nourris ma petite. Aucun danger qu'elle n'attrape de microbes : j'ai les mains propres de celui qui n'a jamais caressé un moteur (j'aurais bien trop peur de flatter le coffre à gants et d'être le seul à ne pas le savoir).

Dans moins d'une semaine, j'aurai le sort de ma fille entre mes mains - ces mains gourdes qui ne savent rien faire de masculin. Je devrai ruser pour lui faire oublier sa mère. Car au moment où je termine ce texte, il y a plus de 24 heures que j'ai mentionné que ma fille dormait à mes côtés. Entre-temps, elle m'a fait la vie dure. Angoisse de séparation, qu'ils appellent ça. (Il est bien sûr question de la séparation d'avec la mère - pourquoi serait-elle angoissée de se séparer de son père, cet accessoire, de toute façon?)

Les hommes d'une autre époque - les vrais, ceux comme mon voisin d'en arrière, qui a installé deux spots sur sa maison cette semaine, sans doute pour mieux se voir astiquer son foyer en brique ou cirer son char même à la brunante - avaient probablement compris qu'il ne leur servait à rien de rester à la maison, et qu'ils étaient plus utiles dans les chantiers, ou au garage, ou à la shop. Là, on leur apprenait à couper des arbres, à démonter un moteur, à changer un chauffe-eau. Et à ne pas faire semblant d'être autre chose que des hommes. Le mandat avait l'avantage d'être clair.

Je me moque depuis des dizaines de lignes, mais c'est par jalousie crasse. Parce que j'aimerais pouvoir revendiquer, comme mon meilleur chum, la construction de mon deck de piscine. J'aimerais, comme un autre, décider, en me levant un matin, que je refais mon sous-sol, ou que je repeins le patio, ou que je construis un cabanon. J'aimerais me présenter dans le vestiaire et percevoir le soulagement de mes coéquipiers, qui seraient rassurés que le meilleur marqueur de l'équipe joue ce soir. J'aimerais pouvoir affirmer que je suis un vrai gars. Parce que j'ai beau sourire en voyant mon voisin d'en arrière traiter sa pelouse, j'envie un peu ce qu'il a.

Parce que j'ai eu le malheur d'y goûter, ne serait-ce qu'une fraction de seconde.

Récemment, un dégât d'eau dans le sous-sol a entraîné une âme charitable à me prêter sa Shop Vac. Le jour venu de rendre l'objet à son propriétaire, je suis sorti le nettoyer dans ma cour. Et j'ai eu l'impression d'être comme tous les hommes de ma rue, d'enfin me voir remettre le chandail aux couleurs de mon équipe.

Et je ne peux malheureusement pas dire que je n'ai pas aimé le sentiment d'être un vrai gars. Pendant une fraction de seconde.

SL




mardi 5 mai 2009

« Le lutteur »

Récemment, j'ai eu (enfin) la chance de visionner le film Le lutteur de Darren Aronofsky, mettant en scène un étonnant Mickey Rourke sorti des boules à mites et, ma foi, semblant en très grande forme. Je dis que j'ai enfin eu la chance de le voir parce qu'il y a déjà un moment qu'il est sorti en salle et que l'amateur de lutte professionnelle que je suis depuis plus de 25 ans (eh oui, à chacun ses faiblesses...) tardait de voir ce qu'on avait à dire sur le sujet.

Dans l'ensemble, je suis resté sur ma faim. Rourke a remporté un Golden Globe pour sa performance dans le film et, bien qu'il incarne avec justesse, en effet, le lutteur en fin de carrière qui ne sait rien faire d'autre pour gagner son pain, je ne crois pas qu'il mérite un trophée pour son jeu. Mais, bon, Hilary Swank avait remporté un Oscar pour son rôle dans Million Dollar Baby, si je ne m'abuse, et j'étais aussi en désaccord avec cette décision. Rourke aura néanmoins tout mis en oeuvre pour bien incarner le rôle : je l'ai découvert dans une forme physique splendide - nombre de lutteurs professionnels, même s'ils sont encore actifs à 57 ans (c'est l'âge de l'acteur new-yorkais), n'ont pas le corps aussi sculpté que celui de l'ancien rebelle qui, comme plusieurs gladiateurs du ring, a eu maille à partir avec ses démons personnels au fil des années.

L'univers de la lutte professionnelle est plus trouble que le cinéphile moyen pourrait le soupçonner. C'est la discipline sportive (je maintiens l'emploi de l'adjectif, quoi qu'on en dise...) qui compte le plus grand nombre de décès prématurés au cours des 15 dernières années. Plus que le football américain, que la course automobile, que la boxe - des sports qu'on croit nettement plus violents parce qu'« authentiques », parce qu'on n'en écrit pas honteusement le scénario à l'avance - quoique je me rappelle les dernières saisons de Formule 1 auxquelles prenait part Michael Schumacher, et je me demande s'il y avait vraiment des doutes dans l'esprit des amateurs de chars que l'Allemand allait remporter le titre année après année... Les lutteurs sont des athlètes qui, contrairement aux joueurs de hockey, de base-ball, de football, de soccer, pratiquent un sport dont la saison ne se termine jamais. Ils vivent sur la route 300 jours par année, participent à des combats 4 ou 5 soirs par semaine et, même si ces affrontements sont chorégraphiés, leur corps absorbe les chutes pour vrai et s'expose aux accidents, à la fatigue, à une usure prématurée. À ce sujet, le livre de Jim Wilson intitulé Chokehold (2003) est un must pour quiconque s'intéresse aux coulisses de la lutte - c'est biaisé, c'est écrit par quelqu'un qui se campe dans le rôle de victime, mais ça montre bien la réalité de ces athlètes qui, contrairement à leurs homologues des sports susmentionnés, ne peuvent compter sur un syndicat et constituent, individuellement, autant de PME en compétition pour une place au soleil, dans une discipline où la gloire est très souvent éphémère.

Rappelons quelques incidents tragiques des 10 dernières années : le 24 mai 1999, Owen Hart tombe d'une hauteur d'une soixantaine de pieds, avant un match, et sa tête se fracasse sur un des poteaux du ring. Il est déclaré mort quelques minutes plus tard dans le vestiaire. Le spectacle de la WWE se poursuit ce soir-là, même si tout le monde a la mort dans l'âme. Hart avait 34 ans.

Le 13 novembre 2005, Eddie Guerrero, un lutteur d'origine mexicaine extrêmement doué et populaire à la WWE, est trouvé mort dans sa chambre d'hôtel. Diagnostic : infarctus, à 38 ans, pour cause d'hypertrophie cardiaque provoquée par la consommation de stéroïdes. Guerrero, revenu des morts à la suite d'un accident de moto plusieurs années auparavant, avait voulu gagner du tonus musculaire - la lutte est l'art du paraître.

Le 25 juin 2007, Chris Benoit (40 ans), un autre favori de la foule à la WWE (et meilleur ami de Guerrero), est trouvé pendu à son domicile. Dans une autre pièce, Benoit a pris soin d'étrangler sa femme et leur fils de 7 ans avant de se donner la mort. Cause apparente de ce drame : une forme de démence provoquée par les nombreux coups à la tête reçus au cours de sa carrière.

Les cas sont innombrables et surprennent, chaque année. Être lutteur correspond à un mode de vie dur, ingrat. On trouve à la lutte beaucoup d'appelés et peu d'élus.

Voilà pourquoi ce que je reproche au film, c'est son intrigue plutôt mince, avouons-le : Randy The Ram Robinson, une idole de la foule arrivée en fin de parcours, résiste à l'appel de la famille et à l'après-carrière pour monter une ultime fois dans le ring afin d'affronter l'adversaire qu'il avait vaincu 20 ans auparavant. De ce point de vue, il faut admettre le réalisme de l'histoire : nombreux sont les lutteurs professionnels qui ne savent pas « accrocher leurs bottes » - à preuve Abdullah The Butcher, qui est inscrit dans la mythologie du sport québécois : le gros homme sanguinaire a amorcé sa carrière en 1958 et, à 73 ans, il parcourt encore le monde entier en compagnie de sa précieuse fourchette. « Cette industrie vous happe et, une fois que vous y avez mis le pied, vous y restez, que vous le vouliez ou non », affirmait Bobby Heenan à la cérémonie d'intronisation au Temple de la renommée de la WWE en 2004. Tous les lutteurs vous diront la même chose, de Hulk Hogan à Ric Flair, en passant par le grand Lou Thesz, le Gordie Howe de la lutte, qui a lutté dans sept décennies (!).

Seulement, le film bat de l'aile parce qu'il ne fait qu'effleurer cet aspect. On croirait que Aronofsky a voulu condenser en un peu moins de deux heures la majeure partie des informations touchant l'arrière-scène de cette discipline controversée, ces informations qu'Internet a rendues disponibles au cours des 15 dernières années. Le film montre le concept du blading (l'art de s'entailler le front avec une lame de rasoir pour saigner au cours d'un combat), la consommation éhontée de petites pilules de toutes sortes de couleurs pour résister à la douleur, à la fatigue, à la dépression même - un ancien lutteur avec qui je suis occasionnellement en contact me disait, du haut de sa mi-cinquantaine expérimentée, que le plus difficile, sur la route, c'est l'éloignement de la famille. Souvent, c'est la bouteille ou la paille dans le nez qui compense.

Le lutteur ne montre pas suffisamment cette solitude du personnage de Robinson, ni les sacrifices qu'il doit faire pour accéder/rester au sommet de son sport. Non plus la soif incommensurable de se trouver sous les projecteurs, au milieu d'une foule partisane. Tous les lutteurs vous diront que c'est le sel de leur travail.

Le lutteur n'est pas inintéressant, mais c'est un film très imparfait, du point de vue de l'intrigue. L'oeuvre d'Aronofsky est un docu-fiction trop sommaire, qui reste en surface. Tant qu'à s'intéresser aux coulisses du ring, il est préférable de visionner les documentaires Beyond the Mat (1999) et Wrestling with Shadows (1998) ou encore de lire les biographies de Mick Foley, d'Ole Anderson, de Ric Flair, de Roddy Piper. Parce que la réalité dépasse la fiction.

Si j'avais eu à réaliser ce film, j'aurais laissé tomber la sous-intrigue du père (Robinson) qui tente de renouer avec sa fille - c'est tout craché l'histoire de Jake « The Snake » Roberts, dont on peut voir le caractère absolument pathétique dans Beyond the Mat - ainsi que les tentatives de séduire Pam, la strip-teaseuse incarnée à merveille par la belle Marisa Tomei. (Voilà un magnifique rôle de composition : Tomei sort complètement de son élément, des personnages souvent « bonbon » auxquels elle nous a habitués... et montre, ma foi, qu'elle aussi a conservé un corps superbe, à 44 ans.) Non pas que le personnage joué par Tomei soit inutile - Pam est l'équivalent féminin de Robinson : elle danse parce qu'elle n'a pas d'autre choix, parce qu'elle a un enfant à nourrir et ne saurait faire autre chose.

Il y a tant à dire et à montrer sur l'univers mystérieux de la lutte professionnelle. Darren Aronofsky a fait du Réjean Tremblay : il s'est fortement inspiré de faits réels précis, de parcours connus, sans toutefois atteindre la profondeur que j'espérais - sans montrer pourquoi les choses sont ce qu'elles sont dans la communauté des lutteurs. Promoteurs retors, politicaillerie de vestiaire, efforts et sacrifices déployés pour atteindre la Grande Scène des organisations mondialement en vue, ressources financières limitées, ridiculisation de la lutte par la masse et les médias sportifs, passion irrépressible entraînant des soirées organisées devant 50 personnes, caractère vernaculaire de la lutte chez le peuple américain (d'Abraham Lincoln à Kurt Angle, en passant par tous les programmes universitaires de lutte olympique)... Il y a tant à montrer, disais-je. Au lieu de ça, on a présenté ce qui contribue à « désacraliser » cette discipline, on a démystifié les secrets du prestidigitateur : scénario des combats prédéterminés dans le vestiaire, communication dans le ring entre lutteurs et arbitre, blading, etc. On a fait du « David Copperfield pour les nuls »... et par un nul.

Il est donc difficile de savoir ce que voulait Aronofsky : exposer la glaucité de cet univers à la gloire surestimée ou faire un job de bras visant à dévoiler ses mécanismes, visant à montrer qu'on fait partie de la petite communauté des internautes qui savent comment la lutte est arrangée. Les férus de lutte comme moi n'ont strictement rien appris de ce film ; le grand public, lui, sait au moins, à présent, que les lutteurs saignent pour vrai. C'est au moins ça de gagné.

SL





vendredi 24 avril 2009

Une question de maquillage

C'est fini, et tout le monde l'avait prédit. Le Canadien s'est fait sortir en quatre, la tête entre les jambes, même pas foutu d'avoir l'honneur d'aller mourir, comme un chien blessé, ailleurs que dans sa propre cour.

À l'heure du post-mortem, on constate que l'après-saison sera sans aucun doute plus excitant que la dernière saison elle-même. Plus excitant que la conférence de presse donnée par Gainey hier après-midi - je sais, ce n'est pas difficile à battre : j'ai vu des bornes fontaines plus charismatiques que le Capitaine Bob.

L'année du CHentenaire a muté en chemin de croix, un chemin de croix qui a vu Jesus Price (c'est le surnom que lui donnent certains fans qui voient peut-être des choses que je ne vois pas) lever les bras au ciel, le soir de l'élimination, et s'écrier à son tour : Lamma sabacthani? Seulement, Carey n'aura pas eu la chance, lui, de se relever après trois jours.

Shit hits the fan, disent les Anglos; et cette fois, le fan en a plein son casque. Lazare Tanguay était-il en mesure de jouer? Pourquoi a-t-on sacrifié l'agneau Bouillon? La poutre dans l'oeil de Higgins est-elle assez visible pour qu'il oublie la paille dans celle du gérant d'estrade? Judas Kostitsyn ira-t-il former son propre clan de « vilains » dans la KHL comme d'autres Européens avant lui, lui qui a laissé tomber les disciples, à partir de février? Et Saku Pilate, lui, du sort de qui se lavera-t-il les mains, une fois rendu sous d'autres cieux, après le 1er juillet? (Je vais arrêter ici cette métaphore filée mettant en scène (ou en Cène?) les héros de mes cours de catéchèse; j'ai trop peur que Jean-Charles Lajoie me cite à 110 %.)

La question que tous se posent - même Ingrid Bettancourt, maintenant qu'elle a de nouveaux chats à fouetter - est de savoir qui voudra signer avec le CH l'été prochain, après l'année de misère que le club vient de connaître. Car force est d'admettre que le Canadien n'est plus ce qu'il était - c'est peut-être pour cette raison que Jean Perron n'a de cesse de radoter à 110 % ses anecdotes de 1986, l'année où il a gagné la Coupe avec Patrick et Bob.

La Fanelle n'est effectivement plus ce qu'elle était. Le Canadien de Montréal me fait penser à la fille cute du secondaire avec qui tous les gars voulaient sortir (et coucher). Cette même fille cute qu'on revoit dans un party de retrouvailles, 10 ans plus tard, et qui supporte une dizaine de livres de plus qu'à l'époque où elle faisait tourner les têtes. Elle a eu deux enfants, a raccourci ses cheveux, a commis l'odieux de les friser (ce qui l'a fait muter en matante de 28 ans). Mais elle s'entête à porter les mêmes jeans qu'à l'époque où elle faisait fureur - sans se rendre compte que le zipper ne ferme plus. Elle a les yeux pochés par ses deux enfants (ou sont-ce les stigmates des folles nuits qu'elle a passées à l'époque où elle pognait encore ?).

Alors elle se maquille - que lui reste-t-il d'autre, à part le formol, pour tenter de demeurer ce qu'elle a été? Elle se maquille - et elle en beurre épais. Si elle a le malheur de sourire, sa face tombe à terre.

Le Canadien, c'est cette fille qui portera probablement un veston de cuir avec des studs à 50 ans et qui mettra du spray net dans ses cheveux gris pour se faire croire qu'elle est encore in.

Quel gars pathétiquement désespéré voudra, le soir des retrouvailles, cruiser l'ancienne fille cute? Surtout, prouvera-t-il quoi que ce soit à sa gang?

***

Un des mystères de l'été à venir reste de savoir qui se portera acquéreur de la Fanelle et de la Mecque Bell. J'ai frémi, la semaine dernière, en apprenant que Québecor et quelques pions périphériques semblaient avoir pris les devants dans le derby « Sauver le cul de Gillett ».

Je respectais le Vieux Péladeau pour avoir mis sur pied un des fleurons du monde des affaires du Québec - je ne connais pas grand-chose à l'économie, mais je sais que dans ce domaine, contrairement à ce qu'on observe chez le public requis aux enregistrements de La fureur, des gros, il en faut. Je respecte jusqu'à un certain point le succès de l'entreprise de PKP; seulement, c'est sa philosophie qui m'exaspère.

Certains suggèrent que, dans l'éventualité où PKP, Julie, Ceuline, René-Charles et la bonne-femme Dion acquerraient le CH, Québecor imiterait la compagnie Rogers (qui détient entre autres les Maple Leafs).

Je ne veux tout simplement pas que le CH tombe entre les mains de la bande à Péladeau.

Je ne veux pas voir Komisarek ouvrir des valises au Banquier sous prétexte qu'il est cute.

Je ne veux pas voir Paul Larocque s'improviser connaisseur et animer un quatrième show de chaises de sport avec Richard Martineau, Claude Charron et Denis Lévesque. (Brrr... fait frette, tout à coup...)

Je ne veux pas que les journalistes de RueFrontenac.com, si on les invite un jour à réintégrer le bâtiment du Journal de Montréal, soient soudainement obligés de vanter le coup de patin de Georges Laraque ou les mains de Tom Kostopoulos, sous la menace d'être à nouveau mis en lock-out.

Je ne veux pas voir les enfants de Guillaume Latendresse en une du Lundi ni connaître les histoires de coeur de Glen Metropolit dans un dossier spécial de 7 jours.

Je ne veux pas courir la chance de gagner un voyage à Las Vegas en compagnie de Josh Gorges pour aller voir Ceuline chanter « Na-na-na-hey-hey-goodbye » ni « Ohé-ohé-ohé ».

Je ne veux pas voir Claire Lamarche tenter de retrouver le troisième frère, albinos, cul-de-jatte (je sais que tu souris, mon Adorable C.) et beauceron, d'Andreï et Sergeï Kostitsyn.

Je ne veux pas voir Maxim Lapierre incarner le nouveau Négociateur.

Je ne veux pas voir (et encore moins entendre) Wilfred ululer l'hymne national au mileu de la patinoire.

Je ne veux pas non plus voir les 10 joueurs autonomes sans compensation du CH parachutés dans un loft où ils seront harangués par un Patrick Huard chargé de leur apprendre l'intensité et un Michel Rivard chargé de leur enseigner le caractère.

Je veux qu'on vende le Canadien à des gens qui s'y connaissent. En 1989, le magnat américain Ted Turner, propriétaire entre autres de Time Warner, des Hawks d'Atlanta (NBA), des Braves d'Atlanta (baseball majeur) et, à temps perdu, mari de Jane Fonda, faisait l'acquisition de l'organisation de lutte professionnelle World Championship Wrestling (WCW) - une concurrente directe de la WWF de Vince McMahon. On croyait que les dollars de Turner pouvaient propulser la compagnie en tête du « divertissement sportif ».

Seulement, Turner connaissait autant la lutte que Dave Morrissette connaît la Bibliothèque de La Pléiade. Après l'achat de WCW, Turner confiait les rênes de la compagnie à Jim Herd, un ancien gérant de Pizza Hut (j'aimerais que ce soit une vilaine blague, mais c'est la vérité). Résultat? WCW a périclité, n'a pas su adapter son produit aux attentes des amateurs, et, surtout, ses propres dirigeants croyaient dur comme fer que la lutte était une vraie compétition sans scénarios prédéterminés... Éventuellement, le manque de leadership (tiens-tiens, c'est un mot à la mode ces temps-ci dans l'entourage de la Fanelle...) des dirigeants a entraîné bisbilles et politicaillerie au sein des « employés » (les lutteurs), jusqu'à la menace de faillite de WCW. En 2001, Vince McMahon achetait l'entreprise des mains de Turner, celui-là même qui projetait de l'envoyer au bureau de chômage.


Quelque chose me dit que Québecor, à défaut de connaître le hockey, contribuerait à en beurrer épais sur la face de l'ex-fille cute.

Je veux qu'on vende le Canadien à des gens qui s'y connaissent.

Y a-t-il un Serge Savard dans la salle?

SL





dimanche 19 avril 2009

Flammèche : la phrase du jour

La phrase du jour revient à Martin Leclerc, journaliste sportif à Rue Frontenac.com. Leclerc défend Bob Gainey aujourd'hui en arguant qu'il faut que le DG du CH conserve son emploi, même après le gâchis du CHentenaire :

« Lorsqu'on écoute les lignes ouvertes, animateurs compris, on se demande parfois si le premier stade de la maladie d'Alzheimer ne consiste pas à devenir partisan du Canadien. »

Le texte complet se trouve ici.

SL

mardi 14 avril 2009

Kamikaze

« Ça va comme c'est mené », qu'ils disent en Lettonie.

Chez le Canadien, le meneur - s'il y en a un, c'est Bob Gainey, plutôt par défaut que par choix - mène tout croche.

J'éprouvais beaucoup de respect pour Gainey quand il s'est amené à Montréal, en 2003. Je me disais qu'on ne pouvait pas avoir été un leader sur la glace et ne pas traîner dans sa besace ce leadership jusqu'au septième étage du Centre Bell.

Quelques années plus tard, au terme de ce « plan quinquennal » sur lequel s'est rabattu le Capitaine Bob pendant la durée de son mandat, il appert que j'ai surestimé l'homme. J'aurais dû y penser : après le plus ardent des feux, il ne reste souvent que de la braise. Regardez aller Gretzky à Phoenix : il ne parvient pas à allumer tout le bois mort qui sèche dans son équipe.

La goutte qui a fait déborder la vase...

J'ai perdu tout le respect que j'avais pour l'ancien capitaine du CH, qui a disputé des matchs des séries avec non pas une mais les deux épaules disloquées, en 1986; celui-là même qui a joué contre Boston avec un pied fracturé - j'ai cessé de le respecter comme DG, donc, le 4 mars dernier. Pour la troisième année de suite, à la date limite des transactions, Gainey a opté pour le statu quo; il a décidé de faire confiance à la bande de tarlais qui a cassé le party du CHentenaire. Il a décidé que Nikolaï Antropov et Bill Guerin ne valaient pas des deuxièmes choix de repêchage. En trois ans, Gainey aura acquis, à la date limite des transactions, Todd Simpson, un défenseur très populaire dans sa famille. En février 2007, le jour de son acquisition, Simpson s'est donné un élan en zone défensive. On l'attend encore en zone adverse.

Surtout - surtout -, là où les fleurs se sont mises à sentir le vase (!), c'est après que Gainey eut congédié Guy Carbonneau. Je me serais attendu à du changement : après tout, le Capitaine Bob est celui qui détient le pouvoir d'apposer sa signature au bas des chèques. Niet. Les pipes sont restées des pipes, quoiqu'en eût dit Magritte - remarquez que ça n'a pas dû déplaire aux Price, Higgins, Gorges et autres réputés consommateurs de dessous féminins montréalais.

Une question de fond

Je croyais que le Canadien (et sa direction) avait atteint le fond du baril. En fin de semaine passée, le Capitaine Bob a dévoilé un double fond qui aurait fait giguer de jalousie les soeurs Lévesque. Kovalev a amorcé la partie contre Pittsburgh à l'aile droite de l'illustre Glen Metropolit, tandis que Saku Koivu, l'autre fils que George Gillett aurait aimé avoir, se demandait sur quelle partie de l'anatomie de Greg Stewart et/ou de Georges Laraque il devait lancer pour s'assurer que la rondelle reste en possession de ses deux ailiers.

Sérieusement : samedi, Gainey a fait la démonstration qu'il ne souhaitait pas gagner. Une démonstration même pas subtile. Tanguay avait-il vraiment besoin d'un repos, lui qui a eu l'occasion de visionner tous les épisodes de La montagne du Hollandais et autres Temps d'une paix à ARTV pendant ses huit semaines de vacances gracieuseté du Russe (mais généreux) Evgeny Artyukhin? Pour ma part, j'étais en promenade chez mon père, au Lac-Saint-Jean, et j'ai dû décliner l'offre du Capitaine Bob, qui m'avait offert de garder les buts en remplacement de Price - le fils de pasteur britanno-colombien avait un rendez-vous plus ou moins galant Chez Paré, ce soir-là. Question de reposer sa mitaine - et de pratiquer ses passes, à ce qu'on dit.

Sérieusement, dis-je : comment peut-on espérer que les joueurs fassent preuve de passion et d'émotion (ce sont les mots en français que Gainey a employés, après le match, pour tenter d'avoir l'air dépité d'avoir perdu contre la bande à Guerin, Kunitz et autres joueurs acquis dans le dernier droit de la saison régulière, pendant que le Capitaine Bob laissait l'oreiller lui imprégner une belle trace sur le côté de la face, juste à côté du filet de bave) - comment, disais-je, peut-on espérer que les joueurs fassent preuve de passion et d'émotion quand le coach, derrière le banc, donne l'impression de souhaiter se trouver ailleurs? Comment les joueurs peuvent-ils avoir faim de gagner quand le coach lui-même lance comme message qu'il n'a rien à battre de gagner le dernier match de la saison, et que son équipe pourrait tout aussi bien être en train de jouer aux quilles (ou de prendre part au grand Bal en Blanc) devant les caméras de RDS? Rappelons que Gainey avait indiqué, la veille, que l'objectif était atteint : le CH faisait les séries. À quoi bon gagner le dernier match et, qui sait, améliorer son sort en affrontant la deuxième meilleure équipe plutôt que la première? À quoi bon entrer dans les séries avec ce proverbial mais énigmatique momentum dont parlent les joueurs de hockey avec la même vénération que
l'Église de scientologie lorsqu'il est question de Monsieur Spock?

Voyage culturel à Boston

Jeudi soir, les joueurs du Canadien partent pour Boston. C'est à quelques heures seulement de Montréal, alors ça figurait bien comme voyage de fin d'année. Il paraît que les plus curieux de l'équipe passeront par le MIT, l'institut de technologie réputé à l'échelle mondiale. D'autres s'arrêteront peut-être à l'Université Berkeley, dont la faculté de musique a produit des géants tels les musiciens hors pair de Dream Theater, un de mes groupes préférés. D'autres, enfin, visiteront Fenway Park, là où les Red Sox pourraient vendre des billets permettant de regarder le match à un kilomètre du stade plus chèrement que les meilleures places aux matchs des Coyotes de Phoenix. Oh, et il y a aussi une partie des Bruins ce soir-là.

Les joueurs du CH - et la Direction du club - en profiteront aussi, je l'espère, pour voir à quoi ressemble une équipe modelée pour les séries, une équipe sérieuse qui travaille, qui joue avec solidarité, qui est équilibrée, qui marque des buts et qui en empêche. Ce sera bon pour la culture générale de tout le monde. Les G. O. des Bruins promettent même, apparemment, de montrer à Komisarek de quel matériau composite est constituée la baie vitrée. Paraît aussi que Tomas Plekanec, le chenapan, n'est pas sûr de prendre part au voyage : il a vu Boston l'an dernier et a appris que ce n'était pas la place des fillettes.

Comme si le bât ne nous avait pas suffisamment blessés encore, pôôôôôvres partisans de la Fanelle que nous sommes, Gainey réitérait aujourd'hui sa confiance en son club : «
Ça ne sert à rien d'envisager comment on pourrait les battre quatre fois [...]. Il faut commencer par les battre une fois. Ce ne sera peut-être pas lors du premier match, mais on va gagner une partie et on partira de là. »

Avis au joueurs du CH, donc : le match de jeudi, comme les pratiques depuis un mois et demi, est facultatif - on n'est pas obligé d'espérer le gagner, dixit le Capitaine Bob. Fiou, voilà qui enlèvera beaucoup de pression aux néo-Glorieux, dont les coudes sont meurtris d'avoir été levés plus souvent que le flambeau, cette saison.

En guise de contusion...

Le printemps sera chaud à Montréal, et ça n'aura rien à voir avec ceux qui se pavaneront sur la Sainte-Catherine. Le Canadien devra déterminer qui, à part le soigneur et les placiers du Centre Bell, sera de retour l'an prochain. Le remaniement qui se profile à l'horizon, juste avant le tournoi de golf de l'équipe (qu'on projette de tenir au début de mai, cette année) sera, à lui seul, plus intéressant que les 82 dernières parties de l'équipe.

Chose certaine, il faut que ça change, dirais-je pour paraphraser un ancien slogan politique qui concurrence difficilement le « plus ça change, plus c'est pareil » si cher à l'organisation montréalaise. Il ne fait plus de doute que, quoi qu'il advienne, Gainey doit démissionner; quitte à ce qu'on le démissionne de force... Doivent aussi le suivre Muller et Jarvis - il est inconcevable que le responsable de la défensive et de l'attaque à cinq, chez le CH, soit un ancien attaquant qui (je paraphrase mon père, qui l'a vu jouer) était incapable de marquer dans un filet désert.

La prochaine équipe de direction doit, idéalement, ne pas être formée d'anciens membres de l'organisation. On en a soupé du country club et du copinage qui a enfanté le power trip de Mario Tremblay, le départ forcé de Patrick Roy, les bourdes étourdies de Réjean Houle, la gestion d'équipe rétrograde de Carbonneau et l'immunité de certains (lire : Doug Jarvis) sous prétexte qu'ils dînent avec le DG et les Anciens Canadiens autour de grosses Molson frettes.

Le prochain DG doit avoir les coudées franches; il doit savoir communiquer - avec les joueurs et avec les médias (à bas les cachoteries qui engendrent les supputations ridicules que sont les blessures « au haut du corps », « au-dessus du corps » ou « au corps »); il doit s'autoriser à négocier les contrats de ses joueurs PENDANT LA SAISON. C'est ce que Peter Chiarelli vient de faire à Boston : en octroyant un contrat lucratif à Tim Thomas, il enlève à son gardien le tracas de se demander s'il jouera l'année prochaine et lui permet de se concentrer sur les séries. Le prochain DG doit aussi mettre l'accent sur le dépistage en sol québécois - Dieu nous protège des prochains Éric Chouinard de ce monde (autre fruit du copinage) qui obstruent l'accès aux Simon Gagné que nous ravissent les autres équipes. Enfin, le prochain DG doit tout mettre en oeuvre pour être actif sur le marché des joueurs autonomes.

Si j'étais méchant, je dirais aussi que le prochain DG, s'il perd le feu sacré parce que sa fille est portée disparue en mer, devra se montrer assez honnête pour laisser sa place à quelqu'un qui a toute la tête au hockey.

Parce qu'au cours des derniers mois, Bob Gainey a joué les kamikazes : lui-même perdu dans les dédales du CHentenaire et, qui sait, peut-être sous la paperasse du palais de Justice, il semble avoir décidé de foncer droit dans le mur. La différence entre Gainey et les idiots qui se font sauter au Moyen-Orient, c'est que ces derniers sont conscients, au moins, qu'ils ne sont pas seuls dans l'autobus qu'ils vont faire exploser.

SL

mercredi 25 mars 2009

vendredi 13 mars 2009

Flammèche : quatuor à cordes... vocales

J'ai toujours aimé les quatuors vocaux, je ne m'en cache pas. Je suis peut-être un des rares Québécois qui aimeraient tomber un jour sur un disque de La Bande magnétique. Bon, je préférerais qu'il soit de seconde main, mais quand même. J'ai tripé sur le film racontant la vie des Comedian Harmonists, ce quintette fracturé en pleine Seconde Guerre parce que deux ou trois de ses membres étaient juifs. J'ai toujours voulu interpréter avec un band la version de Van Halen de "Happy Trails". Bref, vous comprenez que j'admire les musiciens qui savent produire des pièces a capella enrichies d'harmonies qui font que les voix font paraître tout ajout d'instrument superflu, voire nuisible. (Je ne parle pas ici des chorales des messes dominicales qui pullulent dans les paroisses : l'OSM de Kent Nagano au grand complet ne suffirait pas, la plupart du temps, à couvrir leurs fausses notes...)

Je viens de trouver, sur le blogue de Patrick Lagacé, ce petit bijou musical. Les quatre gars viennent apparemment de la Mauricie et s'appellent High Shop. Ils reprennent "Dixie" d'Harmonium. Ça fait 26 ans que je joue de la guitare; j'ai toujours interrompu mon interprétation de "Dixie" après le second couplet parce que je ne me suis jamais donné le trouble d'apprendre la suite d'accords complexe et les solos qu'ils soutiennent qui viennent ensuite.

Écoutez la toune au complet; elle en vaut vraiment la peine.

J'espère que les gars de High Shop ne sont pas d'autres musiciens talentueux qui croupissent au fond d'un rang ou qui travaillent à 8 $ de l'heure chez McDo pendant que des sans-talent-bien-plogués usurpent leur place au soleil...

SL

lundi 9 mars 2009

D'une génération à l'autre

L'héritage de ma mère m'aura servi à me faire plaisir. Je sais que c'est ce qu'elle aurait voulu.

Quand j'ai acheté ma première voiture, ma mère m'a payé ma première année d'assurances, incapable de me payer l'auto elle-même. Mes parents n'avaient pas les moyens non plus de payer mes frais de scolarité d'universitaire. Je sais que ça les a tracassés, qu'ils auraient donné de leur santé pour m'enlever ce fardeau - qui n'a pas été si lourd que ça, après tout.

Samedi, j'ai décidé de donner à ma mère la satisfaction posthume de m'avoir offert un superbe cadeau. Bien sûr, j'aurais déchiré le chèque que mon père m'a refilé les yeux humides, en échange du retour de ma mère. Mais les choses étant ce qu'elles sont, je sais que ma mère doit sourire de contentement, quelque part au-dessus du monde.

C'est grâce à ma mère que j'use des cordes de guitares depuis 26 ans. C'est maman qui m'a transmis non seulement cette passion pour la musique mais surtout ce talent musical, cette oreille musicale qui aura animé toute la famille Martel, de père en fils et filles. J'aurai eu le plaisir de voir des oncles secouer les accordéons, échiner les guitares, ébranler les pianos, faire vibrer leurs cordes vocales. Aucun n'aura joué professionnellement de la musique; ils sont/étaient beaucoup trop humbles pour se croire le droit de se produire devant un public autre que la famille.

J'aurai eu la chance inouïe de prendre connaissance jeune (à 8 ans) de ce talent; j'aurai eu la chance encore plus inouïe d'avoir une mère qui m'aura encouragé à le développer, qui m'aura payé des cours de guitare. Et qui m'aura donné la confiance qu'il faut pour attraper une guitare et la faire couiner devant des étrangers.

En janvier 1983, j'avais 8 ans. Je ne connaissais de la guitare que le manche et la rosace - et encore, je ne connaissais pas le nom des deux parties du corps de cet instrument fascinant qui recelait une puissance tranquille. Ma mère m'avait proposé, l'automne précédent, de m'inscrire à des cours de guitare, parce que de la musique, chez elle, tout n'était qu'instinctif, tout ne se faisait qu'à l'oreille. Au retour des Fêtes, le professeur de guitare avait téléphoné à ma mère pour lui apprendre que le nombre d'inscriptions était insuffisant, que cours de guitare il n'y aurait pas. Ma mère, déçue pour moi et trop consciente de la déception de son fils, avait rappelé le professeur, lui avait demandé s'il accepterait de donner des cours privés, quitte à venir chez nous. On aménagerait bien un local pour ce faire, c'était un détail.

Réjean, mon premier prof de guitare, n'avait jamais considéré l'éventualité de donner des cours privés. Il avait été séduit par l'idée. Aujourd'hui, son école de musique existe depuis près de 20 ans. J'aime croire que ma mère aura eu un rôle, ne serait-ce qu'infime, dans le développement de la mentalité d'affaires de cet homme.

Pendant trois ou quatre ans, Réjean est venu à la maison m'apprendre les rudiments de la guitare. Nombre de fois ma mère a entrouvert les portes françaises qui protégeaient mes modestes débuts pour entonner ce que Réjean m'apprenait. Rapidement, il a vu qu'il venait d'être parachuté dans une famille au sein de laquelle on gobait la musique à grandes bouffées.

À l'âge de 16 ans, j'étais le premier professeur de musique de l'école de Réjean. Ainsi, mes premières armes dans l'enseignement, c'est derrière une guitare et devant des néophytes de 5 à 60 ans que je les aurai faites, dans le sous-sol désordonné d'une grande maison qui n'était pas sans rappeler le labyrinthe dans lequel louvoie Buffalo Bill, dans Le silence des agneaux.

En janvier dernier, Réjean est passé au salon funéraire, il est venu rendre hommage à ma mère à sa façon. Trop de fois il l'avait entendue chanter, il l'avait vue assister à tous mes spectacles au Lac-Saint-Jean, il l'avait vue se présenter à chacun des concerts de l'école de musique, même si elle savait qu'elle ne verrait que des prestations de débutants ou presque. Elle s'en balançait; elle venait voir le résultat de l'enseignement de son fils. Elle venait peut-être se convaincre qu'elle avait donc été avisée de me brasser la cage, au milieu des années 1980, après que j'aie abandonné mon instrument pendant huit mois. Huit mois au terme desquels j'avais oublié des accords, des mélodies; au terme desquels mes doigts avaient oublié comment marcher.

***

Samedi, j'ai remercié ma mère pour un legs plus important encore que le goût des mots. J'ai appris des chansons et tous mes accords à la guitare avant de lire le premier livre qui allait me convaincre de choisir l'univers de la littérature.

Samedi, j'ai acheté ce qui sera peut-être la seule guitare aussi dispendieuse de toute ma vie. Ma mère aurait voulu me l'offrir, j'en suis convaincu. Pour elle, c'eût été un juste retour des choses. La Telecaster Thinline, modèle 1972, que j'ai ramenée à la maison samedi a traversé les générations. Je l'ai nommée Rosie. Toutes mes guitares portent un nom; celle-là seule est nommée d'après quelqu'un qui m'a été proche, ma mère. Celle-là seule porte un nom noble - toutes les autres sont inspirées de criminelles plus ou moins célèbres (une fantaisie de ma part).

Rosie a une touche délicate, la plus tendre qui soit. Je sais qu'elle me fera faire de petits miracles dans mon band de blues.

Et chaque fois que je la caresserai, je penserai à la main de ma mère que j'ai tenue jusqu'à moiteur, le dernier jour de sa vie. Et j'imaginerai bien ma mère qui opine du chef, qui me tient encore la main et sourit, quelque part au-dessus du monde, en observant que certaines richesses traversent les générations.


SL

mercredi 4 mars 2009

Sur la bottine

Plus ça change, plus c'est pareil.

J'ai écrit à peu près la même chose il y a un an, à la date limite des transactions de la LNH.

Pour une troisième année consécutive, le Capitaine Bob (c'est le nom d'un snack à patates frites, à Roberval, dans mon Lac-Saint-Jean natal) s'est contenté de regarder, du haut de la passerelle, les équipes aspirantes aux grands honneurs s'améliorer, tandis que lui et le Country Club du CH s'occupaient de moucher le nez grippé de Halak, de trouver une nouvelle gardienne à Sergeï K. à Hamilton, d'écrire des mots d'amour à Kovy, d'éloigner les pushers qui font la file devant le casier de Price et de planifier d'autres escarmouches entre Komisarek et Lapierre à l'entraînement, question de faire diversion pour que les journalistes cessent de faire l'éloge de Bégin le Martyr (que j'aimais bien), qu'on a sacrifié pour faire de la place à un ancien joueur des Rafales de Québec qui n'oublie pas de s'essuyer le coin de la bouche avant de parler aux médias.

Au moins, il y a deux ans, on a pu rire de Todd Simpson, qui ne fait plus grand-chose aujourd'hui après avoir lu son journal, l'avant-midi.

On va me faire croire que le Canadien n'avait pas deux choix de repêchage à donner contre Nik Antropov, un centre de 6'6'' et de 230 livres qui aurait pu brasser Philadelphie en première ronde ? Que le Capitaine Bob fait plus confiance à trois centres de moins de 6 pieds pour traverser les séries qu'à Olli Jokinen ?

Ce qui est enrageant, avec cette équipe - et surtout sa direction sans scrupule (c'est sans doute ce qui arrive quand on peut mettre sur la glace une équipe qui ne gagnerait pas la Coupe Memorial et quand même remplir l'amphithéâtre à l'année longue) -, c'est que son objectif annuel est dorénavant de participer aux séries, sans plus. Comme si cela suffisait pour qu'on dise mission accomplie.

Aujourd'hui, Boston s'est amélioré; New York aussi; Calgary aussi; Buffalo aussi. « Bob Gainey envoie un message à ses joueurs », titre RDS.ca cet après-midi. Bullshit. On va me faire croire que ceux qui veulent gagner dans cette équipe (les Komisarek, Koivu, Kostopoulos, Lapierre, et Kovalev peut-être) sont contents qu'on n'ait déniché personne en renfort ?

C'est donc dire qu'on va faire confiance à la même équipe, à peu de choses près (deux joueurs en fin de parcours) que celle qui, il y a 2 semaines encore, n'a été capable de récolter que 3 points sur une possibilité de 12 sur la route. On va confier les rênes à un groupe de joueurs qui a concédé 167 lancers dans les 4 dernières parties et qui, sans le brio de Halak, se serait fait manger tout rond la semaine passée.

Je souhaite au Canadien de ne pas traverser la première ronde contre Philadelphie. Je sais que je vais rager, le jour de l'élimination; mais j'espère que quelqu'un paiera pour les pots cassés à un moment donné.

Car là réside le plus grand problème du Canadien : la Direction du club ne souffre d'aucune imputabilité et, si Jean Charest peut s'en tirer sans se faire lapider pour ce qui arrive à la Caisse de dépôt, les Carbonneau, Gainey, Boivin et autres larrons du Septième Étage du Temple Bell réussissent depuis trois ans à garder la tête sur l'oreiller, lors du Jour J, sans craindre pour leurs fesses.

Le pire, c'est qu'il y aura quand même du monde à la Grand Messe du printemps, au 1275, rue Saint-Antoine. Ce n'est pas Oncle George Gillett (tiens-tiens, celui-là même qui a emprunté à la Caisse de dépôt pour acheter le CH...) qui a le pouvoir de taper sur les doigts de ses subalternes; c'est le public.


SL

mercredi 18 février 2009

Tempus fugit

Je suis de retour, après plus d'un mois d'absence. Un mois au cours duquel ma mère a perdu son combat contre le cancer. Un mois au cours duquel je suis devenu encore un peu plus un homme. Un mois au cours duquel, étendu aux côtés de ma mère sur son lit d'hôpital, je lui ai fait des adieux déchirants. Un mois au cours duquel j'ai vu des choses que je ne pensais - que j'espérais - jamais voir : la douleur, le désespoir, la résignation, des larmes jusqu'à plus soif, des infractions à la dignité humaine, la dignité d'une femme qui a été fière, grande, saine.

J'ai vu des aberrations : j'ai vu le système de santé de l'intérieur; j'ai vu ses vains efforts mais aussi ses négligences. J'ai vu toute la merde que peut foutre la bactérie
C Difficile, une absurdité qu'on observera en secouant la tête, dans cinquante ans, en se disant qu'il fallait bien aller à l'hôpital pour attraper des maladies qu'on n'attrape nulle part ailleurs. J'imagine que c'est ce qui se produit lorsqu'il y a plus de syndicats que de chirurgiens dans la bâtisse; lorsque le concierge qui lave les murs n'a pas le droit de laver le plancher, sous peine de grief, et lorsque le pauvre type qui lave le plancher n'a pas le droit d'alerter les infirmiers lorsque la patiente remue de douleur - sous prétexte que parler au personnel médical ne fait pas partie de sa définition de tâche.

J'ai vu des moutons de poussière sous le lit de ma mère, tandis qu'elle se trouvait dans le coma, l'avant-dernier chapitre avant la fermeture de son livre. J'ai vu des coulisses sur les murs; des chaises en cuir fendu issues des années 1960. Nous sommes au Québec, pas au Kosovo.
Malgré tout, j'ai décidé de focaliser sur la possibilité de rendre hommage à ma mère. J'aurai au moins eu cette chance. Voici la transcription du texte que j'ai composé pour maman et que j'ai lu pendant les funérailles, à l'église.

***
Le principal défaut des Martel, c’est qu’ils meurent trop jeunes. Malheureusement, ma mère, elle aussi, est partie trop tôt. Pour cette raison, sans doute, et bien d’autres, les premières pensées qui me viennent à l’esprit ne se disent pas dans une église.

La tentation est forte de décliner tout ce que ma mère va manquer; seulement, je ne céderai pas. Au contraire. J’ai plutôt envie de relever une partie de tout ce dont elle aura été témoin. C’est nettement plus satisfaisant.

Elle a accompagné tous mes instants scolaires, de la pré-maternelle à la maîtrise. Elle a immortalisé mon premier jour d’école sur photo et a assisté à ma collation des grades il y a 6 ans. La fierté a eu le temps de fleurir en elle.

Elle m’a vu compter tous mes buts au hockey – il n’y en a pas eu beaucoup, mais quand même.

Elle a épongé ma première peine d’amour.

Elle a vu tous les emplois que j’aurai occupés, du plus exécrable à celui qui allait devenir ma vocation.

C’est elle qui m’a accueilli à la maison après l’achat de ma première auto. Le parcours de sa main le long de mon bras en disait long. Bien sûr, j’ai lu toute la fierté que le geste signifiait.

Elle a vu, plusieurs fois, ma maison, à Québec. Elle y a laissé des traces indélébiles. Elle y a vu que j’y serais bien.

Elle m’a vu trouver la femme de ma vie. Elles ont même eu la chance de se connaître.

Elle a pu assister au lancement de mon premier livre.

Surtout, elle a vu – brièvement, mais quand même - sa petite-fille. Elle s’est reconnue dans ses yeux, dans ses gestes; elle s’y reconnaîtra dans ses valeurs, que j’ai promis d’entretenir chez ma fille.

Elle a vu le bonheur de mon père pendant 36 ans.

Et tout récemment, elle a eu le temps d’entendre, enfin, tout le bien que je pense d’elle.

***
Ma mère a vu rapidement que j’étais passionné du sport – du sport de salon, mais quand même. Elle est partie pendant le congé du Match des étoiles de la Ligue nationale de hockey. Pouvait-il y avoir un moment plus approprié pour qu’on retire son chandail de mère ? Car elle a désormais sa place parmi les étoiles. De son vivant, elle ne l’aurait jamais acceptée; « c’est trop d’honneurs », aurait-elle dit.

Ton influence aura été notoire, maman. C’est à toi que je dois la musique, la littérature, l’importance de l’écriture, mes qualités d’orateur, mon perfectionnisme, ma méthode, ma rigueur, mon caractère passionné. Tout ça et bien plus encore qui retiendrait tout le monde ici pendant des heures. Je m’arrête là parce que je sais que tu ne voudrais pas déranger les gens aussi longtemps.
***

Le 22 janvier, la terre a tremblé; mais elle a aussi laissé s’élever une grande âme qui a promis de me guider.

Le plus triste, lorsqu’une personne d’une telle grandeur s’éteint, c’est qu’aucune autre semblable n’apparaît pour redonner au Monde son équilibre.


SL