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mercredi 18 novembre 2009

Sur la route

"Et nos poèmes encore s'en iront sur
la route des hommes, portant semence et fruit
dans la lignée des hommes d'un autre âge."
- Saint-John Perse, Vents -


Samedi dernier, le trio dont je fais partie, les Acolytes Anonymes, se produisait à Saint-Raymond, dans Portneuf. C'était notre petit trip, modeste, de stars du rock. Un trip que chaque gars rêve de vivre à un moment donné au cours de son existence.

J'ai fait partie de plusieurs bands. Dès le secondaire 3. Mon premier trip, c'était le show de fin d'année, à la polyvalente. Cinq après-midis, deux soirs. Sept fois dans la semaine, nous nous produisions devant une foule de 250 personnes. L'auditorium était toujours à guichets fermés - il faut dire que le show était gratuit et que les cours étaient suspendus pour la présentation du spectacle, mais ça, on s'en foutait. Les gens auraient été forcés de venir nous voir avec un fusil sur la tempe qu'on aurait joui quand même. L'espace d'une semaine, la vingtaine d'étudiants boutonneux que nous étions à participer à ce spectacle monté tout au long de l'année scolaire nous donnait l'impression d'être en tournée.

Samedi dernier, je me suis replongé dans ce feeling l'espace d'une dizaine d'heures. Sur la route, avec mon comparse Dédé T., guitariste et harmoniciste émérite, on jase de mon autre band, on parle de nos aspirations musicales, de mon rôle de chef d'orchestre désigné, des frustrations qui viennent avec cette responsabilité. On regarde défiler le paysage de Portneuf, on résiste à l'effet de la grisaille. L'adrénaline commence à frétiller dans le détour de l'intestin grêle. Quelque part par là. "C'est quelque part par là", qu'on se dit en observant Joss, notre guide, le Raymondois qui nous attire dans son antre.

Les tests de son de l'après-midi me font me sentir loin de la maison. La salle est intimidante. L'estrade est proche de la scène (quelle scène, en fait ? parce que ce qui sert de stage est un semblant de promontoire de plus ou moins un pouce de "hauteur").

J'ai donné des dizaines de spectacles dans ma vie. Je ne suis pas un pro, mais j'ai appris à amadouer le trac, à l'éradiquer même. Mon métier d'enseignant y est sans doute pour quelque chose. Samedi, la nervosité était à zéro. Le technicien de son y est aussi pour quelque chose : il me gratifie du meilleur son de guitare acoustique que j'aie eu depuis que les Acolytes existent et jouent "un soir à la fois".

***
Un beau moment, en fin d'après-midi. Mes comparses et moi allons casser la croûte à la Brasserie Bédard, une place de gars où on compte toutefois plus de femmes, à l'heure de notre arrivée. Le match Sénateurs/Rangers tire à sa fin. Tant mieux, je pourrai écouter attentivement ce que mes acolytes ont à dire.

Des discussions agréables, profondes, même, à trois heures du spectacle. Au lieu de traiter des enchaînements entre les pièces, je soûle mes deux amis de ma vision de la musique, de cette maudite tare qui ralentit sa progression au Québec et ailleurs. Je m'écoute parler et j'essaie de me dire que je pourrais écrire un billet là-dessus, ici. Ou un essai que j'essaierais de faire publier, tellement il y a à dire, à décrier. On parle de théâtre, d'écriture. Faut dire qu'aucune groupie ne nous fait de l'oeil. À la table voisine, trois vieilles femmes, peut-être veuves, sont le visage de la désolation. Deux d'entre elles sont assises, côte à côte, se parlent occasionnellement sans se regarder en face - c'est lorsqu'elles n'épient pas, à distance, leur consoeur qui épuise son chèque de rentière dans chacune des quatre ou cinq machines à sous qui tintent à ma droite. Le jeu maladif ne regarde pas l'âge. La vieille tête blanche mange à peine; le clignotement coloré de l'écran et l'appât du gain sont sa nourriture.

J'ai trop mangé. Voilà pourquoi il fallait souper au moins deux heures avant le spectacle. Question de rester poli au micro.

À la caisse pour payer, je remarque une dame qui nous a remarqués. On n'est pas connus, sinon que de face, peut-être même pas de profil. Mais la dame est observatrice et se souvient d'avoir vu nos trois minois sur des affiches, chez Uniprix.

***

Trente personnes. Trente braves, certains qui ont parcouru la distance depuis Québec. Ils donnent parfois l'impression d'être le double. Mon adorable C. est indispensable : elle mène les claques, rit, frappe des mains, anime presque la foule. Je l'adore. Encore et toujours.

Vingt-neuf pièces plus tard, une corde et quelques doutes en moins, nous sommes contents. J'ai des réticences : on aurait dû être mieux préparés, on aurait pu mieux enrober la musique, parler mieux, parler plus, interagir les uns avec les autres. Je suis un chiâleux émérite et un perfectionniste fini.

On a droit au traitement royal : de la bouffe et de l'alcool sur le bras de l'Espace culturel, qui nous a accueillis comme des mages, moins la myrrhe. J'espère qu'on n'a déçu personne.

On se permet d'autographier notre affiche, avant de quitter l'enceinte. Comme Ariane Moffat et Richard Séguin l'ont fait, dans un des corridors de l'endroit. Tant qu'à se prendre pour des pros... J'arrache une des affiches avant de partir - je prends soin de m'assurer que ce n'est pas celle qu'on a autographiée. J'ai déjà cette affiche à la maison - c'est moi qui l'ai conçue. Mais l'ajout de la date, maladroitement modifiée à la main, donne de la vraisemblance à tout ça.

Je rentre à une heure du matin. Vanné. Avec la voix de Mad Dog Vachon.

Ma fille s'est réveillée. Elle n'est plus endormable. Dès qu'on tente de la mettre au lit, elle hurle.

Elle a, hélas, hérité de la voix de son père.

SL


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