« Life's a bitch », chantait le groupe Nas' en 1994. Vous vous rappelez que dans mon dernier billet je disais que la vie recèle une puissance hypocrite? Jusque-là, c'était une blague un peu cynique, à peine sentie.
Cette puissance est bien palpable et a déferlé sur ma famille hier. Le verdict est tombé : cancer des ovaires pour ma tendre mère. On lui a ablaté une masse de chair presque aussi grosse que mon bébé de deux semaines, une indésirable qui avait décidé de lui squatter la région pelvienne.
D'abord c'est l'incrédulité, jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'à l'autre bout du fil, il n'y a pas de blague possible; pas sur ce sujet-là. Quand mon père blague, il ne pleure pas. Puis la violence - le mur de ma cuisine portera désormais la cicatrice de ma révolte. Parce que c'est la révolte qui m'a animé pendant plusieurs minutes. C'est la révolte qui m'a fait souhaiter pouvoir, comme John Coffey dans The Green Mile, puiser en ma mère cette merde qui lui a enflé le bas-ventre puis l'inoculer dans les autres, ces autres qui vivent jusqu'à 90 ans même s'ils ont mené une vie d'enfants de chienne, même s'ils ont fait passer le diable pour un des petits chanteurs de la chorale de Gregory Charles.
On a beau frapper - même quand le Canadien marque le premier but contre Tampa Bay -, on a beau sacrer en espérant en écorcher Un, là-haut, s'il y en a un que la tempête ne fait pas fuir, c'est le chagrin, qui vous attend juste à l'entrée de la ruelle la plus sombre pour vous flanquer le poing des poings dans le ventre, à vous en faire monter les larmes aux yeux.
Cette puissance est bien palpable et a déferlé sur ma famille hier. Le verdict est tombé : cancer des ovaires pour ma tendre mère. On lui a ablaté une masse de chair presque aussi grosse que mon bébé de deux semaines, une indésirable qui avait décidé de lui squatter la région pelvienne.
D'abord c'est l'incrédulité, jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'à l'autre bout du fil, il n'y a pas de blague possible; pas sur ce sujet-là. Quand mon père blague, il ne pleure pas. Puis la violence - le mur de ma cuisine portera désormais la cicatrice de ma révolte. Parce que c'est la révolte qui m'a animé pendant plusieurs minutes. C'est la révolte qui m'a fait souhaiter pouvoir, comme John Coffey dans The Green Mile, puiser en ma mère cette merde qui lui a enflé le bas-ventre puis l'inoculer dans les autres, ces autres qui vivent jusqu'à 90 ans même s'ils ont mené une vie d'enfants de chienne, même s'ils ont fait passer le diable pour un des petits chanteurs de la chorale de Gregory Charles.
On a beau frapper - même quand le Canadien marque le premier but contre Tampa Bay -, on a beau sacrer en espérant en écorcher Un, là-haut, s'il y en a un que la tempête ne fait pas fuir, c'est le chagrin, qui vous attend juste à l'entrée de la ruelle la plus sombre pour vous flanquer le poing des poings dans le ventre, à vous en faire monter les larmes aux yeux.
***
Au bout d'un moment, on ne sait plus à qui s'en prendre, puis on comprend que c'est à la vie elle-même de prendre le blâme. Ce matin, quelque quinze heures après le poing dans le mur, dans le ventre, dans le monde, je déambulais sur la passerelle qui me fait traverser du bureau vers la cafétéria. Je m'imaginais minus, plus petit encore que ma petite-affaire-qui-ne-chigne-pas-tant-que-ça à la maison. Je me disais qu'aux yeux de la Plus Haute Instance - l'« oeil dans le ciel », comme la désignait Alan Parsons -, nous sommes sans doute tous des êtres sans but véritable; des insectes qui se dirigent d'un point A vers un point B, question d'occuper le temps en attendant de basculer dans l'oubli. Je me voyais presque d'en haut, ayant quitté mon bureau, la tête entre deux préoccupations, traversant la passerelle presque symboliquement. J'ai pensé à Sartre, à Beckett, à Ionesco.
Puis je me suis rappelé ce qu'un collègue m'a confié le mois dernier, quand j'en étais encore aux angoisses prénatales : « Ton enfant va donner un sens à tout ce que tu fais. Tu vas comprendre soudainement pourquoi tu fais les choses ».
J'espère que ma mère pense comme ça; qu'elle se dit depuis 34 ans que ses enfants donnent un sens à ce qu'elle fait. Parce que ce qu'elle aura à faire, dès le mois prochain, revêt tout le sens au monde pour moi, pour mon frère, pour son mari des 36 dernières années, pour mon adorable C. et notre petite fille. Le mot me fait peur, et je sais qu'il fait aussi peur à ma mère, sans doute, parce que c'est d'elle que je tiens cette sensibilité à la langue. Chimio. Voyez, je ne réussis même pas à l'écrire au complet.
Les cellules sont avides et opportunistes. Elles se gobent les unes les autres afin de prendre de l'expansion, de gagner en force. Ma petite-affaire-qui-chigne-parfois est sur le point d'avaler ma blonde au complet tellement elle boit. (Si elle me dit un jour qu'elle est allergique aux produits laitiers, je refuserai de la croire.) Les cellules qui parasitaient ma mère depuis je ne sais combien de mois ont travaillé en équipe, se sont unies les unes aux autres comme certains grévistes de Vidéotron il y a quelques années : unis pour mettre la marde.
Des fois la vie a simplement besoin du plus magistral des coups de pied dans les couilles. Ça tombe bien, je n'ai plus l'occasion d'enfiler mes bottes de neige depuis que j'ai confié le déneigement de mon entrée à un entrepreneur.
L'humain aussi est une créature avide. Ma fille apprendra très tôt que la famille est également une cellule affamée. Et chez nous, on compte depuis deux semaines une mini-cellule de plus, qui va insuffler à ma mère une énergie supplémentaire. Chez nous, on ajoute des cellules, on n'en retranche pas; les uns se nourrissent de l'énergie des autres. Chacun se laisse phagocyter par le noyau. Il est déjà gros, il grandit et gagne en force d'heure en heure, depuis hier. Les appuis affluent de partout. La vie devra tenir compte de ça : quand on joue les salopes, on s'attire des leçons.
SLAu bout d'un moment, on ne sait plus à qui s'en prendre, puis on comprend que c'est à la vie elle-même de prendre le blâme. Ce matin, quelque quinze heures après le poing dans le mur, dans le ventre, dans le monde, je déambulais sur la passerelle qui me fait traverser du bureau vers la cafétéria. Je m'imaginais minus, plus petit encore que ma petite-affaire-qui-ne-chigne-pas-tant-que-ça à la maison. Je me disais qu'aux yeux de la Plus Haute Instance - l'« oeil dans le ciel », comme la désignait Alan Parsons -, nous sommes sans doute tous des êtres sans but véritable; des insectes qui se dirigent d'un point A vers un point B, question d'occuper le temps en attendant de basculer dans l'oubli. Je me voyais presque d'en haut, ayant quitté mon bureau, la tête entre deux préoccupations, traversant la passerelle presque symboliquement. J'ai pensé à Sartre, à Beckett, à Ionesco.
Puis je me suis rappelé ce qu'un collègue m'a confié le mois dernier, quand j'en étais encore aux angoisses prénatales : « Ton enfant va donner un sens à tout ce que tu fais. Tu vas comprendre soudainement pourquoi tu fais les choses ».
J'espère que ma mère pense comme ça; qu'elle se dit depuis 34 ans que ses enfants donnent un sens à ce qu'elle fait. Parce que ce qu'elle aura à faire, dès le mois prochain, revêt tout le sens au monde pour moi, pour mon frère, pour son mari des 36 dernières années, pour mon adorable C. et notre petite fille. Le mot me fait peur, et je sais qu'il fait aussi peur à ma mère, sans doute, parce que c'est d'elle que je tiens cette sensibilité à la langue. Chimio. Voyez, je ne réussis même pas à l'écrire au complet.
Les cellules sont avides et opportunistes. Elles se gobent les unes les autres afin de prendre de l'expansion, de gagner en force. Ma petite-affaire-qui-chigne-parfois est sur le point d'avaler ma blonde au complet tellement elle boit. (Si elle me dit un jour qu'elle est allergique aux produits laitiers, je refuserai de la croire.) Les cellules qui parasitaient ma mère depuis je ne sais combien de mois ont travaillé en équipe, se sont unies les unes aux autres comme certains grévistes de Vidéotron il y a quelques années : unis pour mettre la marde.
Des fois la vie a simplement besoin du plus magistral des coups de pied dans les couilles. Ça tombe bien, je n'ai plus l'occasion d'enfiler mes bottes de neige depuis que j'ai confié le déneigement de mon entrée à un entrepreneur.
L'humain aussi est une créature avide. Ma fille apprendra très tôt que la famille est également une cellule affamée. Et chez nous, on compte depuis deux semaines une mini-cellule de plus, qui va insuffler à ma mère une énergie supplémentaire. Chez nous, on ajoute des cellules, on n'en retranche pas; les uns se nourrissent de l'énergie des autres. Chacun se laisse phagocyter par le noyau. Il est déjà gros, il grandit et gagne en force d'heure en heure, depuis hier. Les appuis affluent de partout. La vie devra tenir compte de ça : quand on joue les salopes, on s'attire des leçons.
« It's times like these you learn to live again
It's times like these you give and give again
It's times like these you learn to love again
It's times like these, time and time again »
- Foo Fighters, « Times like these »
It's times like these you give and give again
It's times like these you learn to love again
It's times like these, time and time again »
- Foo Fighters, « Times like these »
3 commentaires:
Frérot...
Tu le sais à quel point je comprends les montagnes russes d'émotions que tu vis en ce moment. La puissance du choc d'une telle nouvelle fait vaciller, donne mal au coeur...
Malgré tout, ce que tu écris est d'une justesse inouïe : à travers la tempête et la houle, un noyau se resserre, une énergie nouvelle en émerge... À coup de solidarité, d'amour et d'espoir, la vie va comprendre la leçon!
Et les nouvelles sont déjà meilleures! On va lui montrer à cette salope!
Ta petite soeur
« It's times like these you learn to live again
It's times like these you give and give again
It's times like these you learn to love again
It's times like these, time and time again »
- Foo Fighters, « Times like these»
Quelle triste nouvelle, j'imagine et comprends bien toute ta rage. Tu as toutes mes pensées en ce moment.
Ça ne t'aidera peut-être pas, mais si t'étais mon garçon, je serais extraordinairement fière de moi. Et j'aurais vraiment le goût de rester pour voir la suite de l'histoire.
Je t'embrasse
MRenée
Salut Marie! Quel plaisir de te voir ici.
Ça va déjà mieux depuis la fin de semaine : les pronostics sont excellents, ça se traite, le médecin est des plus optimistes et nous aussi.
Ce sera un sal moment, mais on fera comme lorsqu'on prend les routes du Québec : on fixera l'horizon en essayant de ne pas tenir compte des cahots qui trouent la route devant nous.
SL
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