Il y a 9 jours, je suis devenu père. Pour la première fois. J'essaie encore de sortir de mon corps, de faire un voyage astral, pour m'observer d'en haut, question de voir à quoi ça ressemble. On dirait que la petite chose qui est entrée dans ma vie (et sur mon prochain rapport d'impôt) ne m'appartient pas, a été parachutée dans ma maison sans que je m'en rende compte. Je me lève chaque matin, depuis le 25 novembre, en me disant : « Hé... quelqu'un a mis deux bras qui bougent dans la chambre d'à côté! »
Le 13 mars dernier, j'écrivais sur la nécessité d'avoir la vocation (au lieu des dollars proposés par l'ADQ) pour décider de faire des enfants (à l'époque j'aurais dû écrire « commettre des enfants »). Car, pour ce faire, il faut la vocation ou un fichu coup de main de la vie (ou du destin, selon vos allégeances ésotériques) : mon adorable C. et moi avons ri un bon coup en constatant que c'est ce texte qui figurait en tête de mon blogue au moment où elle m'apprenait, dans un scénario des moins hollywoodiens, que le test était positif. La vie, et toute la puissance secrète (ou hypocrite, c'est selon) qu'elle recèle, s'était chargée de nous flanquer à la figure notre tendance à tergiverser; comme si quelqu'un avait décidé de nous donner une leçon : « Mais oui, vous êtes prêts à avoir un bébé; à preuve, vous en avez une en chemin, une petite affaire qui chigne ».
Au fil des derniers mois, mon adorable C. et moi avons appris à anticiper ce qui se profilait à l'horizon. Aucun détail n'a été oublié - de toute façon, plusieurs amis et connaissances cyniquement altruistes (ou sadiques, c'est selon) se sont assurés de nous brosser un portrait réaliste de la sentence à venir : plus de vie sexuelle, plus de temps libres, plus de sommeil, dépendance
TOTALE de la petite affaire qui chigne, fatigue extrême, perte d'appétit, cessation des projets personnels, voire disparition de toute faculté intellectuelle, chute de tout profit dans nos placements financiers, et même perte des amygdales (si on les a encore). Je soupçonne la crise économique qui affecte le monde entier d'être la faute des nouveaux-nés : après tout, une livre de couches coûte plus cher qu'un litre d'essence. Et toutes ces catastrophes climatiques qui raflent les Antilles de plus en plus fréquemment, ces dernières années, vous croyez que ça n'a rien à voir avec le baby-boom? On a péroré sur le caractère néfaste des flatulences de vaches, mais à quand la première thèse de doctorat sur l'indice de catastrophe naturelle provoquée par la prolifération des poupons? Il y a des conséquences à tous ces ébats amoureux qui remuent la Terre...
Puis l'angoisse devient plurielle (et ubiquitaire - elle apparaît partout à la fois, comme Dieu et le Père Noël) : mon adorable C. s'en fait autant sinon plus pour le poupon à venir lorsqu'elle croit ingérer par mégarde la tête (ou le cul, c'est selon) d'un nématode (le parasite qui infecte la morue); on la force à culpabiliser à la moindre ingestion d'une gorgée d'alcool; elle en arrive à ne plus pouvoir dormir sur le côté, question de ne pas asphyxier le bébé en obstruant une grosse veine qui approvisionne l'
alien qui l'éventrera au moment opportun; si elle se couche tard, on lui dit que son bébé ne dormira pas beaucoup; bref, à côté de la femme enceinte idéale, un ascète est une bête de party à faire rougir de honte John Belushi et Robert Downey Jr. Et ne vous méprenez pas : le père à venir n'est pas épargné par cette angoisse. Peut-il continuer de pratiquer sa mission de « missionnaire » sans craindre d'écrabouiller bébé? Peut-il manifester ses angoisses à voix haute sans craindre que bébé-rendu-ado-ou-jeune-adulte-perturbé, au cours d'une séance d'hypnose pour fin thérapo-psychanalytique, ne parvienne à retrouver, perdues dans les dédales de sa mémoire auditive, les paroles inquiètes du géniteur?
Puis surviennent les étapes préparatoires à l'accouchement : yoga prénatal; aqua-forme auquel on invite le futur père à enfiler le maillot (question de lui donner l'impression de servir à quelque chose et qu'il aura quelque influence sur le degré de douleur de sa tendre moitié - ce n'est d'ailleurs pas par hasard, à mon avis, si la
tendre moitié devient progressivement les
charnus deux tiers : la nature elle-même évince le conjoint, apparemment, au point qu'il devienne plutôt le
ci-joint de l'engrossée...); consultation de blogues de frustrées et moins frustrées (ou d'anciennes intellectuelles qui écrivent pour se rappeler qu'elles ont su, à une certaine époque, bien conjuguer leurs verbes). Tout y passe, et pourtant un seul mot suffit à calmer les maux :
péridurale. Les professeurs de yoga feraient la file au Bureau de chômage, si chaque femme connaissait les avantages de cette méthode (et consentait à accepter qu'en 2008, la médecine lui accorde le droit de ne pas souffrir inutilement pour des motifs sentimentaux).
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La tempête est passée. Le 25 novembre dernier. La première de l'hiver. Ironiquement, ma blonde aussi est née un jour de tempête. Avant longtemps, elles se ligueront à deux contre un pour exiger que je donne à la Guignolée tous les thermostats de la maison, moi qui gèle des pieds en plein été.
La vie (ou le destin, ou le bon Dieu, ou le saint auquel vous vous vouez en désespoir de cause) s'est montrée clémente. L'avenir a maintenant un visage. Et l'amour que mon adorable C. et moi éprouvons l'un pour l'autre a pris la forme d'un petit tas de chair d'à peine 6 livres. Les Psychologues Experts du Canal Vi(d)e (ou les diseuses de bonne aventure à 2,49 $ la minute qui squattent TVA à minuit chaque soir, c'est selon) affirmeraient qu'il faut renouveler l'amour, l'entretenir : c'est ce que nous faisons dorénavant très souvent, puisque l'amour demande à être changé de couche aux heures ou à peu près.
Mon adorable C. prétend - avec raison - que ces petites affaires qui chignent ont le tour de vous forcer à devenir attachées à elles : elles viennent au monde jolies (bon, je vous l'accorde, moyennant une imagination qui vous permette de ne pas tenir compte de la peau bleuie par le manque d'oxygène, du sang qui les macule de la tête aux pieds et les rend plus poisseuses que la morue dont je parlais précédemment, de la maigreur presque rachitique des membres (j'ai vu des blattes plus charnues dans un appartement de Montréal-Nord) et de la forme atrocement RI-DI-CU-LE du crâne au sortir du Tunnel qui mène à la Vraie Vie (vous avez vu le film
Coneheads avec Dan Akroyd?)). La nôtre a réussi, après 9 jours, à nous faire croire qu'elle est adorable. On s'en reparlera dans vingt ans (j'écrirai peut-être depuis une chambre aux murs capitonnés de l'Institut Robert-Giffard, entre deux traitements aux électrochocs commandités par Hydro-Québec).
Les angoisses, elles, restent; et comme la petite affaire qui chigne, elles se métamorphosent de jour en jour. Pour mieux les amadouer, mon adorable C. et moi avons trouvé la panacée : l'humour. En date du 4 décembre 2008, notre meilleur coup aura été de faire croire - non seulement aux employés du collège où nous enseignons mais même
à de parfaites inconnues disséminées (et peut-être inséminées, qui sait) partout au Québec - que notre petite portera le nom de... Kath-Centième. On ne nous accusera pas de ne pas être de circonstance. (Ni de ne pas regarder les bulletins de nouvelles : on nous a appris, à nous aussi, que c'était cette année qu'on commémorait la première fois qu'un Français est venu dire comment vivre aux (rares) occupants du futur territoire de Régis Labeaume).
Kath-Centième n'aura pas le choix : elle aura de l'humour. Sinon elle sera forcée de quitter le foyer familial à 14 ans (c'est l'âge de raison, non?). Au pire, elle trouvera bien du travail en Chine, où les manufactures de clés Allen foisonnent. Et si elle se plaint à la DPJ, je promets de convoquer tous les grands Journalistes d'Enquête de TVA et de révéler des photos compromettantes de ma petite, à la naissance, avec sa tête RI-DI-CU-LE de Conehead. (La vie (ou le destin, ou le bon Dieu, ou le saint auquel vous vous vouez lorsque même les seins de maman abdiquent) vous fournit parfois des outils qu'il faut savoir découvrir - comme dans ces jeux vidéo où les indices clignotent pour que vous les emmagasiniez.)
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Mais oui, je l'aime. C'est d'une évidence. J'essaie seulement de ne pas le déclarer trop fort : elle pourrait s'en servir contre moi plus tard et me faire du chantage pour que j'accepte que son chum (le salaud - car c'en sera un, j'en suis sûr) puisse coucher à la maison.
Je suis effectivement condamné à mort. Condamné à mourir de rires et à mourir d'amour pour les deux femmes de ma vie.
SL
P.S. Je me relis une troisième fois (le manque de sommeil entraîne un manque d'attention) : « Condamné à mourir de rires et à mourir d'amour pour les deux femmes de ma vie. ». J'ai vraiment écrit ça? Moi qui croyais que la mère seulement était assujettie aux déséquilibres hormonaux...
P.P.S. La vie (ou le destin, ou le bon Dieu, ou le saint auquel vous vous vouez avant de gober deux antidépresseurs) sait être, elle aussi, particulièrement racoleuse : notre petite affaire qui chigne... ne chigne pas tant que ça, après tout.