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mardi 27 novembre 2007

Le roi se meurt

« La propagande est aux démocraties
ce que la violence est aux dictatures. »

Noam Chomsky


Le Roi est en train de s’éteindre. Et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Henri Massé quittera ses fonctions de « cheuf » de la FTQ cette semaine. Plusieurs souligneront à quel point il lui aura fallu faire preuve d’abnégation au cours des 15 dernières années pour occuper ce poste. C’est vrai. Représenter un groupe à petite ou grande échelle , c’est accepter de ne pas avoir de vie pendant un temps. Se retrouver à la tête d’un groupe syndical, c’est, en plus si je me fie à ce que j’observe , consentir à incarner son personnage de méchant 24 heures sur 24, comme un lutteur professionnel digne de ce nom. C’est sans doute pour ça que Massé m’a toujours plutôt tapé sur les nerfs.

En fait, quand on observe le profil des leaders syndicaux des dernières années au Québec, force est d’admettre que peu d’entre eux ont l’air sympathique. On en vient à penser qu’un des préalables à l’emploi consiste à être enragé, constamment dans de mauvaises dispositions, frustré à l’année longue, sur les dents, toujours sur la défensive. C’est cette image qu’a toujours dégagée, à mes yeux, Massé, tout comme Claudette Carbonneau de la CSN, tout comme Réjean Parent de la CSQ, tout comme Jennie Skene (anciennement à la tête de la FIIQ), tout comme Gérald Larose du temps qu’il était à la CSN. Tout comme Michel Chartrand et Louis Laberge, avant eux. Comme si avoir l’air de bonne humeur et affable risquait de nuire à l’image du revendicateur intraitable. Comme le méchant, à la lutte, qui ne rit jamais, au risque de se montrer perméable à la bonté et réceptif à l’opinion contraire. Et comme les méchants à la lutte, rares sont les leaders syndicaux qui reconnaissent qu’ils devraient peut-être baisser le ton. Habituellement, ils rendent les autres responsables de leurs malheurs… et de leur état. Voilà pourquoi je souris jaune, mais la session achève, alors je peux bien sourire quand même lorsque je lis que c'est Massé qui traite les autres de chiâleux.

Ce qui me fait toutefois grincer des dents cette semaine, c’est que le roi Henri ne peut pas sortir de scène sans ressentir le besoin de passer un flambeau bien brûlant à son successeur. Le 26 novembre dernier, il déclarait aux médias qu’il dénonce la proposition de l’ADQ selon laquelle il faudrait qu’il y ait vote lors d’une demande d’accréditation syndicale. Pourquoi ne suis-je pas surpris ? Et pourquoi suis-je tenté d’établir un parallèle avec le vote de grève des plus douteux qui s’est tenu le 14 novembre dernier au Cégep F.-X.-Garneau, alors que le vote s’est fait à mains levées et qu’on a refusé l’accès à la salle de délibération à des étudiants qui souhaitaient exercer leur droit de vote dixit certains étudiants du cégep, frustrés derrière des portes qui leur sont restées closes. Soulignons aussi que ce sont les membres de l’ASSE (l’Association étudiante, qui proposait la grève) qui ont fait le décompte des mains levées. Ironie du sort, ce sont encore les opposants à la grève qui se font traiter de gueulards et d'extrémistes, quelques jours après…

Parfois, en cherchant l’ouest sur le globe terrestre, on fait tourner la sphère un peu trop et on se trouve sur des contrées qu’on considérait au départ comme étant dans l’est. Ma période de sympathie pour l’ADQ est révolue, mais Massé enfreint ici un principe de base de la démocratie, au sacro-saint nom de la syndicalisation considérée comme panacée par les leaders syndicaux. Je reconnais bien entendu les bienfaits de la syndicalisation je suis moi-même syndiqué et suis conscient des avantages que cette situation me procure , en autant qu’elle respecte la démocratie. Et ce que propose Massé en supposant qu’il ne soit pas nécessaire de voter pour ou contre l’accréditation, c’est ni plus ni moins qu’une syndicalisation imposée. C’est le médecin qui enfonce dans la gorge de son patient deux Tylenol soi-disant pour son bien, alors que le patient préférerait peut-être aller prendre l’air pour faire s’estomper ses maux de tête. Le roi Henri entendrait-il donc encourager les décisions unilatérales, sans consultation auprès de ses sujets, se disant « le roué, c’est moé », et considérant savoir ce qui est bien pour sa plèbe ?

Que Massé souhaite que le Québec se maintienne en tête à titre d’État le plus syndiqué en Amérique du Nord, c’est de bonne guerre ; c’est sans doute son rôle d’entretenir ce vœu et c’est aussi sûrement symptomatique des caractéristiques qui l’ont élevé au sommet de la FTQ. L’important, c’est que les travailleurs soient consultés et que les décisions se prennent dans le respect de la démocratie. Pour ma part, je préfère encore que le Québec conserve sa position à titre de l’un des États les plus démocratiques au monde.

Reste qu’il faut rendre à César ce qui revient à César. Je l’ai dit, il faut de l’abnégation, du dévouement et de l’énergie pour camper le rôle de leader syndical. Personnellement, je ne voudrais pas des pantoufles qu’Henri Massé laissera sur le pas de la porte avant de sortir. Je ne voudrais pas infliger à ma famille des 75-80 heures de travail par semaine, je ne souhaiterais pas rentrer à la maison chaque soir une fois que tout le monde est couché.

Seulement, j’espère qu’on profitera du changement de la garde pour entreprendre un virage qui redorera un peu l’image du syndicalisme à la québécoise. Me semble que je ressentirais davantage l’appartenance à ma gang, si mon chef paraissait un peu plus posé, un peu moins enragé et bourru.

À la lutte, Johnny Valentine et Jake « The Snake » Roberts n’élevaient jamais la voix. C’est ce qui en a fait deux des méchants les plus efficaces et les plus crédibles de leur sport.


SL

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