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mardi 20 novembre 2007

Le mois des morts

« Ce qui est macabre dans la mort, ce n'est pas la

séparation du corps et de l'esprit, c'est ce qui reste.

Une sombre copie inerte, impuissante, exposée

à la vue de tous les curieux. » Dielle Doran, Maryse


Si novembre peut finir… L’heure normale relègue aux oubliettes le dernier vestige de l’été, la pénombre étend son linceul prématurément sur les vivants, le froid se fait de plus en plus insistant et annonce la mort blanche à venir. L’Halloween, que j’ai fêtée pendant un mois cette année, est bien rangée dans les boîtes. Ne reste plus qu’à attendre les Fêtes, l’ultime carotte au bout du bâton. Les Fêtes, l’ultime récompense ?

Na. L’ultime récompense, c’est la fin de la session.

Parce que quand on enseigne, novembre, c’est un trou noir qui ferait baver de curiosité Einstein. C’est le mois où la fatigue émerge comme un noyé qui déchire la surface de l’eau tranquille, c’est le mois où les absents ne savent pas encore qu’ils auront eu tort. C’est le mois où me revient en tête « La cigale et la fourmi » : vous dormiez, eh bien échouez maintenant, ai-je envie de déclamer à certains, une fois arrivé décembre.

Novembre, c’est le mois où les cadavres qui couraient les rues le dernier soir d’octobre se donnent rendez-vous dans nos classes. Lichtenberg, un écrivain allemand du XVIIIe siècle, affirmait que « la conviction certaine que l'on pourrait si l'on voulait est cause d'inertie chez maints bons esprits ». Dans mes classes, cet automne, plusieurs sont convaincus qu’ils pourraient.

Gel et dégel

Tandis que je m’échine à faire contribuer un épouvantail miniature à animer (!) un de mes groupes, plusieurs des corps qui me font face restent plus impassibles encore qu’un catatonique devant la Boutique TVA. Tandis que je reçois l’haleine avinée des bâilleurs, (oui-oui, malgré le dégel à venir des frais de scolarité, certains ont les moyens de se payer du vin plutôt que de la bière sans doute les mêmes qui dégainent leur cellulaire toujours plus rutilant que celui du voisin) des bâilleurs de fond… de tonne, dirais-je méchamment , je pense à cette étude qu'a menée un de mes collègues du réseau qui révèle que les cégépiens ne sont pas aussi paresseux qu’on ne le croit. Ainsi, je lis que les valeurs les plus importantes aux yeux des cégépiens sont l’acquisition de compétences sur le plan professionnel et l’acquisition de connaissances. Seulement, la suite me fait sourire : « L'importance de l'effort pour réussir ses études arrive juste derrière ». Évidemment.

Là, j’ai en tête la mine de certains de mes élèves. Je vois K. ne vous emballez pas, elle n’a vraiment rien des capacités introspectives du personnage d’Aquin, quoique sa décomposition progressive soit très ressemblante… – ; je vois sa moue déconfite, écœurée, qui avait l’air de l’être dès septembre. Et je vois E., qui hausse difficilement les épaules elle n’est pas sportive, la pauvre lorsque je teste ses connaissances en matière d’histoire du Québec. Et je pense à A. dont l’initiale est, hélas, inversement proportionnelle à la note qu’il obtient pour ses textes , dont je soupçonne qu’il soit muet : mi-novembre et je n’ai toujours pas entendu le son de sa voix. Eurêka ! Mes élèves m’ont retourné l’ascenseur : ils m’ont fait le coup eux aussi et ont ajouté au groupe la contribution d’un épouvantail (A.), question qu’on rigole un bon coup…

Si au moins les épouvantails faisaient rire… Depuis le début de la session, je suis le seul à rire des péripéties de mon précieux assistant de cours à peine plus neurasthénique que certaines de mes ouailles. Même un film de Tarantino projeté en classe n’arrive pas à sortir certains(e)s de leur torpeur. Même les photos de mon précieux épouvantail qui prend un verre au bar Le Charlotte, sur la Grande Allée.

Et là, pour être bon prof, on se demande ce qu’on peut faire de plus pour qu’ils dégèlent. Je veux dire, mes framboises congelées, après une nuit au frigo, elles sont prêtes à plonger dans le yogourt, le lendemain matin ; je me dis que des narcoleptiques devraient commencer à bouger le bout des lèvres, après une douzaine de semaines de cours… Je veux bien m’approcher et souffler dessus, comme le bœuf et l’âne sur le petit Jésus dans la crèche. Y a ça, oui, que j’ai pas encore testé.

Parce que le reste, je l’ai essayé : ateliers en équipes, du mouvement pour les faire bouger un peu (recherche à la bibliothèque, rotations d’équipes en classe, invasion d’une autre classe, même), des documentaires qui font rire, qui font réfléchir, qui devraient faire remuer les méninges, des discussions sur des sujets de société, des œuvres qui les touchent, une sortie au théâtre. Niet. Silence de mort, la plupart du temps. Au moins, au début de la session, on entendait sans arrêt le ventilateur format géant qui asséchait le dégât d’eau de l’été, dans la pièce d’à côté…

Les recherches de mon collègue rapportent que le cégépien d’aujourd’hui « respect[e l’autre] dans sa différence ». Pour ça oui. Les miens vouent un culte silencieux à J.A., à M., à J., à M., qui ont compris, eux, que l’ambiance d’un cours passe aussi par la participation active des élèves. Ces quelques brins d’herbe qui résistent au tapis de neige et pointent encore vers le soleil ont compris l’utilité de Tom, mon ami épouvantail.

Tout ça me fait croire qu’à défaut de dégeler les élèves, il faut dégeler les frais de scolarité, tiens. Parce que nos étudiants veulent des professeurs passionnés, qui maîtrisent leur matière, qui les intéressent. Mais eux, qu’ont-ils à offrir en retour ? Sont-ils seulement conscients de la chance qu’ils ont de s’asseoir devant leurs enseignants à peu de frais ? Pour ma part, je me préoccupais beaucoup moins de ce qui pouvait arriver au tapis du salon quand j’étais locataire au lieu d’être propriétaire. S’ils paient un peu plus cher, peut-être accorderont-ils au moins autant d’importance à leur rôle en classe qu’à leur facture de cellulaire ou qu’à leur horaire de travail chez McDo. Peut-être seront-ils incités à devenir autre chose que cette « sombre copie inerte, impuissante [et] imposée à la vue de tous les curieux » dont parle Dielle Doran. Remarquez que c’est ce qu’on croyait, quand on a imposé la taxe à l’échec. Résultat ? On l’a éradiquée. Au lieu d’enlever au dormeur son oreiller, on a fermé un peu plus les rideaux, pour que la lumière ne perturbe pas son sommeil.

Si novembre peut finir… Parce qu’à part mon anniversaire, à la fin du mois, c’est le néant. En décembre, certains dormeurs réaliseront que, comme dans le poème de Rimbaud, ils ne sont pas endormis mais plutôt morts.

Mais je les aime. J’essaie de leur en vouloir, mais je les aime pareil. Tellement que je me sens généreux (encore) et que je veux faire plaisir à quelqu’un. Tiens, je leur propose une autre sortie éducative. Un cadeau pour Noël.

SL

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitation pour ton blogue !
Il est aussi plaisant de te lire que de t'écouter jouer de la guitare !!!
J'aime bien l'idée de la sortie éducative offerte à tes étudiants !!! Sacré blogueur, oups, blagueur !
Outre sa couleur qui pourrait soulever des protestations, j'ai même pensé que Willis pourrait participer à tes cours au même titre que l'épouvantail ...

Steve Laflamme a dit…

Le problème avec Willis, c'est son poids : 75 livres d'amour, ça reste quand même 75 livres...

P.S. Merci beaucoup pour ton commentaire - et pour ton surnom, qui me fait sourire.

SL

Anonyme a dit…

Et si Tom arrivait en classe...

tout nu,
la paille à l'air ???

Crois-tu que cela éveillerait tes jeunots ?

On sait jamais...

hihi