être invité, ce qui est impertinence ; ne pas
parler quand on y est invité, ce qui est de la
dissimulation ; parler sans observer les réactions
de l'autre, ce qui est de l'aveuglement. »
– Confucius –
Ouais. Deux fois dans la même semaine.
En fait, vous vous apprêtez à lire le texte que je voulais écrire, avant de décider de parler d’Henri Massé et des syndicalistes, dans mon texte du 27 novembre. J’avais envie de traiter d’un sujet qui n’est pas vraiment de l’actualité. En fait, pas tout à fait.
Je sais, ils sont nombreux à avoir parlé de Tout le monde en parle. Je sais, c’est une vieille affaire : ça fait 3 ans que le show est en ondes. Je sais, toutes les éloges ont été prodiguées et toutes les diatribes, vomies, elles aussi.
Mais je ne suis plus capable.
De voir Lepage lire ses cartons et constater qu’il est incapable de faire quoi que ce soit les mains vides ? Un peu, mais ce n’est pas le pire grief que j’ai à formuler.
De voir la complaisance dont font preuve Lepage et Turcotte à l’égard des « amis de la gang » ? Oui, mais ça aussi, tout le monde en a parlé.
D’être témoin de la séance de bashing aux dépens de la piñata de la semaine qui consent à recevoir des coups moyennant un chèque ? Peut-être, mais la piñata a toujours le choix de ne pas se présenter la face sur le plateau. (Quoique si elle refuse d’accéder au Plateau, elle ne sera sans doute jamais vraiment l’amie de la gang…)
Le pire, à propos de Tout le monde en parle, c’est l’impunité totale dans laquelle baignent Lepage, Turcotte et leur équipe chaque semaine. Parce qu’ils jouent pour l’équipe qui jouit de la meilleure défensive, la SRC. Parce que les cotes d’écoute sont encore à la hauteur des attentes. Parce que leur show de chaises est justement assis entre deux chaises, en équilibre entre le show d’humour et l’émission culturelle. Piment fort et les humoristes (j’utilise ce terme générique faute de mieux, restant conscient que plusieurs des invités – particulièrement lors des deux années d’agonie de l’émission, à la fin – étaient trop chétifs pour ce grand veston) qui y sont passés s’en sont tirés pendant 7 ans, malgré des gags qui ont déplu à plusieurs personnalités publiques (parlez-en à Daniel Pinard, à Kathleen, à Mitsou, aux jumelles Magma, à Jean-Marc Parent…).
Mon problème, c’est que Lepage et Turcotte ne détiennent pas les compétences pour animer ce genre d’émission. Je sais, je m’attire l’épithète de « jaloux », mais rassurez-vous : je ne voudrais pas de leur job. Même si, apparemment, les deux hommes s’entendront pour déclarer qu’ils occupent les plus beaux emplois de la télé, en ce moment.
C’est du moins ce qu’affirme Dany Turcotte dans le magazine Jobboom de novembre-décembre 2007. Interviewé par Annick Poitras, l’ancien humoriste du Groupe Sanguin ne cache pas que Tout le monde en parle est le meilleur contrat de sa carrière. Je le comprends : il nous apprend que depuis 2 ans, il n’a plus à vivre avec la critique : « […] ça me passe dix pieds par-dessus la tête ! Avant, Guy et moi on lisait tous les courriels, soit de 700 à 800 par émission ! Même si 80 % sont élogieux, on gaspillait beaucoup d’énergie à se sentir concernés personnellement par ceux qui ne l’étaient pas. Internet est un défouloir collectif , les gens s’en servent pour attaquer. Aujourd’hui, on n’a plus accès aux courriels ; un membre de l’équipe nous fait un résumé. C’est mieux. » (p. 12).
Rassurez-vous, monsieur Turcotte. Si par hasard vous trébuchez sur mon blogue, sachez que je n’ai pas l’intention de vous traiter de noms. Mais je trouve particulièrement déplorable que des personnalités publiques parmi les plus en vue – on parle de près de 2 millions de téléspectateurs chaque semaine environ – choisissent de se mettre à l’abri de la critique. Parce que l’imputabilité, ce n’est pas qu’un mot que Stephen Harper a de la difficulté à prononcer ; ce n’est pas que pour les joueurs du Canadien sous prétexte qu’ils sont millionnaires – si on se base sur ce critère, de toute façon, Lepage est aussi imputable que Koivu et Kovalev, et on est en droit de s’attendre à ce qu’il livre la marchandise.
Et la marchandise, je l’attends toujours. J’ai observé ce qui s’est passé ces dernières semaines.
Dimanche 18 novembre – premier invité : Plume Latraverse. Pendant 20 minutes, on aborde les sujets épineux que sont les dépendances du chansonnier, son affection pour la bière, sa propension à insulter ses spectateurs. Mais pas un mot au sujet de son dernier album. Lepage ne lui demande même pas qui sont ses musiciens, si sa musique a maturé, s’il entend partir en tournée. Avoir été Plume, ce soir-là, j’en aurais décapsulé quelques-unes en arrivant à la maison pour calmer ma frustration.
Dimanche 25 novembre – premier invité : Jean Chrétien. L’apogée de l’insignifiance – et je ne parle pas que de l’ex-politicien originaire de Shenanigan. J’aurais aimé que Chrétien se fasse enfin challenger au sujet des commandites, de la Nuit des longs couteaux. Lepage a bien tâté la pustule, mais il lui a laissé sa dégueulasse calotte blanche, il n’en a pas expulsé le pus. Chrétien s’en est bien tiré, louvoyant à merveille entre l’ignorance et la couardise de l’animateur ainsi que l’impertinence et l’idiotie du fou du roi. Remarquez qu’au moins, pour une fois, le fou – probablement l’artiste qui a le mieux monnayé le dévoilement de son homosexualité – n’était pas tenté de faire des yeux doux à un politicien… Et il est là, le problème : Lepage et Turcotte sont incapables de relancer les discussions, de renvoyer la balle à quelqu’un comme Chrétien qui est parvenu à bien se tirer d’affaire toute sa carrière. Là où Paul Arcand aurait tenté de serrer l’écrou, de peinturer l’ancien premier ministre dans le coin, Lepage et Turcotte ont bifurqué vers l’humour facile, réussissant même à faire passer Chrétien pour un bon bonhomme sympathique qui se serait retrouvé malgré lui dans la forêt des mal aimés que chante Pierre Lapointe.
Turcotte confie à Annick Poitras que son rôle est d’incarner « la guêpe fatigante qui menace de piquer pendant le souper » (p. 12). Fatigante, pour ça, il a raison. Il faut le lui donner : il a le sens du timing, Turcotte – il trouve toujours le moment inopportun pour désamorcer une situation qui devient corsée (et souvent, par définition, intéressante) avec un gag. La plupart du temps, un gag qui a trait au sexe. En ce sens, il complète à merveille Lepage : c’est important de pouvoir compter sur un fou du roi pour placer la blague grivoise, quand l’animateur oublie de le faire – ça n’arrive pas souvent, mais quand même : quelle police d’assurance, ce Dany !
Le pire, c’est que les deux loustics semblent aveugles devant cet impair qui fait que quand on cherche un peu de substance, on reste sur sa faim. Constatez vous-même : « Mon rôle n’est pas facile. Les invités le savent, parce qu’ils sont eux-mêmes conviés à participer aux conversations. Mais certains n’osent pas se mouiller. On ne peut pas les forcer parce qu’il faut être informé pour prendre position » (p. 12-13). (C’est moi qui souligne, ici, et si vous saviez à quel point je rage du fait de ne pas pouvoir souligner plus gros !) Heureusement, que les invités sont conviés à participer aux discussions : c’est souvent eux qui posent les meilleures questions ou qui y vont des commentaires les plus intelligents ! Remarquez à quel point Lepage a paru insipide lorsque Christiane Charette était sur son plateau. Trouvez une façon de (re)voir le passage d’Aline Apostolska à un des enregistrements de cet automne.
Lepage et Turcotte animent un show qui les met, eux, en valeur. Un show qui leur permet impunément de s’en prendre à ceux à qui ils sont capables de s’en prendre. Comme des ti-culs dans la cour d’école qui taxent les plus petits mais qui font dans leurs culottes quand les plus grands les approchent. Qui allait les réprimander pour s’en être pris au Doc Mailloux, alors que l’audience au grand complet l’avait en aversion lorsqu’il y est allé de son commentaire raciste à l’égard des Noirs ? Les animateurs croyaient-ils vraiment qu’Anne-Marie Losique allait leur tenir tête, le soir de la première, en septembre 2004 ?
Tout le monde en parle, c’est le syndrome J.E. – on s’en prend à ceux qui ne sont aucunement menaçants, à ceux contre qui on est sûr de gagner : des plombiers véreux, des assureurs retors, des chanteuses désespérées au point d’avoir à voler à l’étalage… mais jamais les Gros du gouvernement ou des multinationales. Et personne ne s’en plaint. En fait, certains se plaignent, mais pas de cette lacune : « Il paraît que les seules plaintes formulées concernent la chemise du fou du roi, Dany Turcotte... », dixit Pascale Lévesque sur le site de Canoë. Il suffit de consulter la section du site de l’émission où s’amoncellent les dithyrambes du public pour constater que ce n’est pas demain la veille que le duo du dimanche soir devra hausser son niveau d’un cran.
Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, qu’i disent.