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vendredi 30 novembre 2007

J.E., me, moi


« Il faut se garder de trois fautes : parler sans y

être invité, ce qui est impertinence ; ne pas

parler quand on y est invité, ce qui est de la

dissimulation ; parler sans observer les réactions

de l'autre, ce qui est de l'aveuglement. »

Confucius

Ouais. Deux fois dans la même semaine.

En fait, vous vous apprêtez à lire le texte que je voulais écrire, avant de décider de parler d’Henri Massé et des syndicalistes, dans mon texte du 27 novembre. J’avais envie de traiter d’un sujet qui n’est pas vraiment de l’actualité. En fait, pas tout à fait.

Je sais, ils sont nombreux à avoir parlé de Tout le monde en parle. Je sais, c’est une vieille affaire : ça fait 3 ans que le show est en ondes. Je sais, toutes les éloges ont été prodiguées et toutes les diatribes, vomies, elles aussi.

Mais je ne suis plus capable.

De voir Lepage lire ses cartons et constater qu’il est incapable de faire quoi que ce soit les mains vides ? Un peu, mais ce n’est pas le pire grief que j’ai à formuler.

De voir la complaisance dont font preuve Lepage et Turcotte à l’égard des « amis de la gang » ? Oui, mais ça aussi, tout le monde en a parlé.

D’être témoin de la séance de bashing aux dépens de la piñata de la semaine qui consent à recevoir des coups moyennant un chèque ? Peut-être, mais la piñata a toujours le choix de ne pas se présenter la face sur le plateau. (Quoique si elle refuse d’accéder au Plateau, elle ne sera sans doute jamais vraiment l’amie de la gang…)

Le pire, à propos de Tout le monde en parle, c’est l’impunité totale dans laquelle baignent Lepage, Turcotte et leur équipe chaque semaine. Parce qu’ils jouent pour l’équipe qui jouit de la meilleure défensive, la SRC. Parce que les cotes d’écoute sont encore à la hauteur des attentes. Parce que leur show de chaises est justement assis entre deux chaises, en équilibre entre le show d’humour et l’émission culturelle. Piment fort et les humoristes (j’utilise ce terme générique faute de mieux, restant conscient que plusieurs des invités particulièrement lors des deux années d’agonie de l’émission, à la fin étaient trop chétifs pour ce grand veston) qui y sont passés s’en sont tirés pendant 7 ans, malgré des gags qui ont déplu à plusieurs personnalités publiques (parlez-en à Daniel Pinard, à Kathleen, à Mitsou, aux jumelles Magma, à Jean-Marc Parent…).

Mon problème, c’est que Lepage et Turcotte ne détiennent pas les compétences pour animer ce genre d’émission. Je sais, je m’attire l’épithète de « jaloux », mais rassurez-vous : je ne voudrais pas de leur job. Même si, apparemment, les deux hommes s’entendront pour déclarer qu’ils occupent les plus beaux emplois de la télé, en ce moment.

C’est du moins ce qu’affirme Dany Turcotte dans le magazine Jobboom de novembre-décembre 2007. Interviewé par Annick Poitras, l’ancien humoriste du Groupe Sanguin ne cache pas que Tout le monde en parle est le meilleur contrat de sa carrière. Je le comprends : il nous apprend que depuis 2 ans, il n’a plus à vivre avec la critique : « […] ça me passe dix pieds par-dessus la tête ! Avant, Guy et moi on lisait tous les courriels, soit de 700 à 800 par émission ! Même si 80 % sont élogieux, on gaspillait beaucoup d’énergie à se sentir concernés personnellement par ceux qui ne l’étaient pas. Internet est un défouloir collectif , les gens s’en servent pour attaquer. Aujourd’hui, on n’a plus accès aux courriels ; un membre de l’équipe nous fait un résumé. C’est mieux. » (p. 12).

Rassurez-vous, monsieur Turcotte. Si par hasard vous trébuchez sur mon blogue, sachez que je n’ai pas l’intention de vous traiter de noms. Mais je trouve particulièrement déplorable que des personnalités publiques parmi les plus en vue on parle de près de 2 millions de téléspectateurs chaque semaine environ choisissent de se mettre à l’abri de la critique. Parce que l’imputabilité, ce n’est pas qu’un mot que Stephen Harper a de la difficulté à prononcer ; ce n’est pas que pour les joueurs du Canadien sous prétexte qu’ils sont millionnaires si on se base sur ce critère, de toute façon, Lepage est aussi imputable que Koivu et Kovalev, et on est en droit de s’attendre à ce qu’il livre la marchandise.

Et la marchandise, je l’attends toujours. J’ai observé ce qui s’est passé ces dernières semaines.

Dimanche 18 novembre premier invité : Plume Latraverse. Pendant 20 minutes, on aborde les sujets épineux que sont les dépendances du chansonnier, son affection pour la bière, sa propension à insulter ses spectateurs. Mais pas un mot au sujet de son dernier album. Lepage ne lui demande même pas qui sont ses musiciens, si sa musique a maturé, s’il entend partir en tournée. Avoir été Plume, ce soir-là, j’en aurais décapsulé quelques-unes en arrivant à la maison pour calmer ma frustration.

Dimanche 25 novembre premier invité : Jean Chrétien. L’apogée de l’insignifiance et je ne parle pas que de l’ex-politicien originaire de Shenanigan. J’aurais aimé que Chrétien se fasse enfin challenger au sujet des commandites, de la Nuit des longs couteaux. Lepage a bien tâté la pustule, mais il lui a laissé sa dégueulasse calotte blanche, il n’en a pas expulsé le pus. Chrétien s’en est bien tiré, louvoyant à merveille entre l’ignorance et la couardise de l’animateur ainsi que l’impertinence et l’idiotie du fou du roi. Remarquez qu’au moins, pour une fois, le fou probablement l’artiste qui a le mieux monnayé le dévoilement de son homosexualité n’était pas tenté de faire des yeux doux à un politicien… Et il est là, le problème : Lepage et Turcotte sont incapables de relancer les discussions, de renvoyer la balle à quelqu’un comme Chrétien qui est parvenu à bien se tirer d’affaire toute sa carrière. Là où Paul Arcand aurait tenté de serrer l’écrou, de peinturer l’ancien premier ministre dans le coin, Lepage et Turcotte ont bifurqué vers l’humour facile, réussissant même à faire passer Chrétien pour un bon bonhomme sympathique qui se serait retrouvé malgré lui dans la forêt des mal aimés que chante Pierre Lapointe.

Turcotte confie à Annick Poitras que son rôle est d’incarner « la guêpe fatigante qui menace de piquer pendant le souper » (p. 12). Fatigante, pour ça, il a raison. Il faut le lui donner : il a le sens du timing, Turcotte il trouve toujours le moment inopportun pour désamorcer une situation qui devient corsée (et souvent, par définition, intéressante) avec un gag. La plupart du temps, un gag qui a trait au sexe. En ce sens, il complète à merveille Lepage : c’est important de pouvoir compter sur un fou du roi pour placer la blague grivoise, quand l’animateur oublie de le faire ça n’arrive pas souvent, mais quand même : quelle police d’assurance, ce Dany !

Le pire, c’est que les deux loustics semblent aveugles devant cet impair qui fait que quand on cherche un peu de substance, on reste sur sa faim. Constatez vous-même : « Mon rôle n’est pas facile. Les invités le savent, parce qu’ils sont eux-mêmes conviés à participer aux conversations. Mais certains n’osent pas se mouiller. On ne peut pas les forcer parce qu’il faut être informé pour prendre position » (p. 12-13). (C’est moi qui souligne, ici, et si vous saviez à quel point je rage du fait de ne pas pouvoir souligner plus gros !) Heureusement, que les invités sont conviés à participer aux discussions : c’est souvent eux qui posent les meilleures questions ou qui y vont des commentaires les plus intelligents ! Remarquez à quel point Lepage a paru insipide lorsque Christiane Charette était sur son plateau. Trouvez une façon de (re)voir le passage d’Aline Apostolska à un des enregistrements de cet automne.

Lepage et Turcotte animent un show qui les met, eux, en valeur. Un show qui leur permet impunément de s’en prendre à ceux à qui ils sont capables de s’en prendre. Comme des ti-culs dans la cour d’école qui taxent les plus petits mais qui font dans leurs culottes quand les plus grands les approchent. Qui allait les réprimander pour s’en être pris au Doc Mailloux, alors que l’audience au grand complet l’avait en aversion lorsqu’il y est allé de son commentaire raciste à l’égard des Noirs ? Les animateurs croyaient-ils vraiment qu’Anne-Marie Losique allait leur tenir tête, le soir de la première, en septembre 2004 ?

Tout le monde en parle, c’est le syndrome J.E. on s’en prend à ceux qui ne sont aucunement menaçants, à ceux contre qui on est sûr de gagner : des plombiers véreux, des assureurs retors, des chanteuses désespérées au point d’avoir à voler à l’étalage… mais jamais les Gros du gouvernement ou des multinationales. Et personne ne s’en plaint. En fait, certains se plaignent, mais pas de cette lacune : « Il paraît que les seules plaintes formulées concernent la chemise du fou du roi, Dany Turcotte... », dixit Pascale Lévesque sur le site de Canoë. Il suffit de consulter la section du site de l’émission où s’amoncellent les dithyrambes du public pour constater que ce n’est pas demain la veille que le duo du dimanche soir devra hausser son niveau d’un cran.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, qu’i disent.

SL

mardi 27 novembre 2007

Le roi se meurt

« La propagande est aux démocraties
ce que la violence est aux dictatures. »

Noam Chomsky


Le Roi est en train de s’éteindre. Et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Henri Massé quittera ses fonctions de « cheuf » de la FTQ cette semaine. Plusieurs souligneront à quel point il lui aura fallu faire preuve d’abnégation au cours des 15 dernières années pour occuper ce poste. C’est vrai. Représenter un groupe à petite ou grande échelle , c’est accepter de ne pas avoir de vie pendant un temps. Se retrouver à la tête d’un groupe syndical, c’est, en plus si je me fie à ce que j’observe , consentir à incarner son personnage de méchant 24 heures sur 24, comme un lutteur professionnel digne de ce nom. C’est sans doute pour ça que Massé m’a toujours plutôt tapé sur les nerfs.

En fait, quand on observe le profil des leaders syndicaux des dernières années au Québec, force est d’admettre que peu d’entre eux ont l’air sympathique. On en vient à penser qu’un des préalables à l’emploi consiste à être enragé, constamment dans de mauvaises dispositions, frustré à l’année longue, sur les dents, toujours sur la défensive. C’est cette image qu’a toujours dégagée, à mes yeux, Massé, tout comme Claudette Carbonneau de la CSN, tout comme Réjean Parent de la CSQ, tout comme Jennie Skene (anciennement à la tête de la FIIQ), tout comme Gérald Larose du temps qu’il était à la CSN. Tout comme Michel Chartrand et Louis Laberge, avant eux. Comme si avoir l’air de bonne humeur et affable risquait de nuire à l’image du revendicateur intraitable. Comme le méchant, à la lutte, qui ne rit jamais, au risque de se montrer perméable à la bonté et réceptif à l’opinion contraire. Et comme les méchants à la lutte, rares sont les leaders syndicaux qui reconnaissent qu’ils devraient peut-être baisser le ton. Habituellement, ils rendent les autres responsables de leurs malheurs… et de leur état. Voilà pourquoi je souris jaune, mais la session achève, alors je peux bien sourire quand même lorsque je lis que c'est Massé qui traite les autres de chiâleux.

Ce qui me fait toutefois grincer des dents cette semaine, c’est que le roi Henri ne peut pas sortir de scène sans ressentir le besoin de passer un flambeau bien brûlant à son successeur. Le 26 novembre dernier, il déclarait aux médias qu’il dénonce la proposition de l’ADQ selon laquelle il faudrait qu’il y ait vote lors d’une demande d’accréditation syndicale. Pourquoi ne suis-je pas surpris ? Et pourquoi suis-je tenté d’établir un parallèle avec le vote de grève des plus douteux qui s’est tenu le 14 novembre dernier au Cégep F.-X.-Garneau, alors que le vote s’est fait à mains levées et qu’on a refusé l’accès à la salle de délibération à des étudiants qui souhaitaient exercer leur droit de vote dixit certains étudiants du cégep, frustrés derrière des portes qui leur sont restées closes. Soulignons aussi que ce sont les membres de l’ASSE (l’Association étudiante, qui proposait la grève) qui ont fait le décompte des mains levées. Ironie du sort, ce sont encore les opposants à la grève qui se font traiter de gueulards et d'extrémistes, quelques jours après…

Parfois, en cherchant l’ouest sur le globe terrestre, on fait tourner la sphère un peu trop et on se trouve sur des contrées qu’on considérait au départ comme étant dans l’est. Ma période de sympathie pour l’ADQ est révolue, mais Massé enfreint ici un principe de base de la démocratie, au sacro-saint nom de la syndicalisation considérée comme panacée par les leaders syndicaux. Je reconnais bien entendu les bienfaits de la syndicalisation je suis moi-même syndiqué et suis conscient des avantages que cette situation me procure , en autant qu’elle respecte la démocratie. Et ce que propose Massé en supposant qu’il ne soit pas nécessaire de voter pour ou contre l’accréditation, c’est ni plus ni moins qu’une syndicalisation imposée. C’est le médecin qui enfonce dans la gorge de son patient deux Tylenol soi-disant pour son bien, alors que le patient préférerait peut-être aller prendre l’air pour faire s’estomper ses maux de tête. Le roi Henri entendrait-il donc encourager les décisions unilatérales, sans consultation auprès de ses sujets, se disant « le roué, c’est moé », et considérant savoir ce qui est bien pour sa plèbe ?

Que Massé souhaite que le Québec se maintienne en tête à titre d’État le plus syndiqué en Amérique du Nord, c’est de bonne guerre ; c’est sans doute son rôle d’entretenir ce vœu et c’est aussi sûrement symptomatique des caractéristiques qui l’ont élevé au sommet de la FTQ. L’important, c’est que les travailleurs soient consultés et que les décisions se prennent dans le respect de la démocratie. Pour ma part, je préfère encore que le Québec conserve sa position à titre de l’un des États les plus démocratiques au monde.

Reste qu’il faut rendre à César ce qui revient à César. Je l’ai dit, il faut de l’abnégation, du dévouement et de l’énergie pour camper le rôle de leader syndical. Personnellement, je ne voudrais pas des pantoufles qu’Henri Massé laissera sur le pas de la porte avant de sortir. Je ne voudrais pas infliger à ma famille des 75-80 heures de travail par semaine, je ne souhaiterais pas rentrer à la maison chaque soir une fois que tout le monde est couché.

Seulement, j’espère qu’on profitera du changement de la garde pour entreprendre un virage qui redorera un peu l’image du syndicalisme à la québécoise. Me semble que je ressentirais davantage l’appartenance à ma gang, si mon chef paraissait un peu plus posé, un peu moins enragé et bourru.

À la lutte, Johnny Valentine et Jake « The Snake » Roberts n’élevaient jamais la voix. C’est ce qui en a fait deux des méchants les plus efficaces et les plus crédibles de leur sport.


SL

mardi 20 novembre 2007

Le mois des morts

« Ce qui est macabre dans la mort, ce n'est pas la

séparation du corps et de l'esprit, c'est ce qui reste.

Une sombre copie inerte, impuissante, exposée

à la vue de tous les curieux. » Dielle Doran, Maryse


Si novembre peut finir… L’heure normale relègue aux oubliettes le dernier vestige de l’été, la pénombre étend son linceul prématurément sur les vivants, le froid se fait de plus en plus insistant et annonce la mort blanche à venir. L’Halloween, que j’ai fêtée pendant un mois cette année, est bien rangée dans les boîtes. Ne reste plus qu’à attendre les Fêtes, l’ultime carotte au bout du bâton. Les Fêtes, l’ultime récompense ?

Na. L’ultime récompense, c’est la fin de la session.

Parce que quand on enseigne, novembre, c’est un trou noir qui ferait baver de curiosité Einstein. C’est le mois où la fatigue émerge comme un noyé qui déchire la surface de l’eau tranquille, c’est le mois où les absents ne savent pas encore qu’ils auront eu tort. C’est le mois où me revient en tête « La cigale et la fourmi » : vous dormiez, eh bien échouez maintenant, ai-je envie de déclamer à certains, une fois arrivé décembre.

Novembre, c’est le mois où les cadavres qui couraient les rues le dernier soir d’octobre se donnent rendez-vous dans nos classes. Lichtenberg, un écrivain allemand du XVIIIe siècle, affirmait que « la conviction certaine que l'on pourrait si l'on voulait est cause d'inertie chez maints bons esprits ». Dans mes classes, cet automne, plusieurs sont convaincus qu’ils pourraient.

Gel et dégel

Tandis que je m’échine à faire contribuer un épouvantail miniature à animer (!) un de mes groupes, plusieurs des corps qui me font face restent plus impassibles encore qu’un catatonique devant la Boutique TVA. Tandis que je reçois l’haleine avinée des bâilleurs, (oui-oui, malgré le dégel à venir des frais de scolarité, certains ont les moyens de se payer du vin plutôt que de la bière sans doute les mêmes qui dégainent leur cellulaire toujours plus rutilant que celui du voisin) des bâilleurs de fond… de tonne, dirais-je méchamment , je pense à cette étude qu'a menée un de mes collègues du réseau qui révèle que les cégépiens ne sont pas aussi paresseux qu’on ne le croit. Ainsi, je lis que les valeurs les plus importantes aux yeux des cégépiens sont l’acquisition de compétences sur le plan professionnel et l’acquisition de connaissances. Seulement, la suite me fait sourire : « L'importance de l'effort pour réussir ses études arrive juste derrière ». Évidemment.

Là, j’ai en tête la mine de certains de mes élèves. Je vois K. ne vous emballez pas, elle n’a vraiment rien des capacités introspectives du personnage d’Aquin, quoique sa décomposition progressive soit très ressemblante… – ; je vois sa moue déconfite, écœurée, qui avait l’air de l’être dès septembre. Et je vois E., qui hausse difficilement les épaules elle n’est pas sportive, la pauvre lorsque je teste ses connaissances en matière d’histoire du Québec. Et je pense à A. dont l’initiale est, hélas, inversement proportionnelle à la note qu’il obtient pour ses textes , dont je soupçonne qu’il soit muet : mi-novembre et je n’ai toujours pas entendu le son de sa voix. Eurêka ! Mes élèves m’ont retourné l’ascenseur : ils m’ont fait le coup eux aussi et ont ajouté au groupe la contribution d’un épouvantail (A.), question qu’on rigole un bon coup…

Si au moins les épouvantails faisaient rire… Depuis le début de la session, je suis le seul à rire des péripéties de mon précieux assistant de cours à peine plus neurasthénique que certaines de mes ouailles. Même un film de Tarantino projeté en classe n’arrive pas à sortir certains(e)s de leur torpeur. Même les photos de mon précieux épouvantail qui prend un verre au bar Le Charlotte, sur la Grande Allée.

Et là, pour être bon prof, on se demande ce qu’on peut faire de plus pour qu’ils dégèlent. Je veux dire, mes framboises congelées, après une nuit au frigo, elles sont prêtes à plonger dans le yogourt, le lendemain matin ; je me dis que des narcoleptiques devraient commencer à bouger le bout des lèvres, après une douzaine de semaines de cours… Je veux bien m’approcher et souffler dessus, comme le bœuf et l’âne sur le petit Jésus dans la crèche. Y a ça, oui, que j’ai pas encore testé.

Parce que le reste, je l’ai essayé : ateliers en équipes, du mouvement pour les faire bouger un peu (recherche à la bibliothèque, rotations d’équipes en classe, invasion d’une autre classe, même), des documentaires qui font rire, qui font réfléchir, qui devraient faire remuer les méninges, des discussions sur des sujets de société, des œuvres qui les touchent, une sortie au théâtre. Niet. Silence de mort, la plupart du temps. Au moins, au début de la session, on entendait sans arrêt le ventilateur format géant qui asséchait le dégât d’eau de l’été, dans la pièce d’à côté…

Les recherches de mon collègue rapportent que le cégépien d’aujourd’hui « respect[e l’autre] dans sa différence ». Pour ça oui. Les miens vouent un culte silencieux à J.A., à M., à J., à M., qui ont compris, eux, que l’ambiance d’un cours passe aussi par la participation active des élèves. Ces quelques brins d’herbe qui résistent au tapis de neige et pointent encore vers le soleil ont compris l’utilité de Tom, mon ami épouvantail.

Tout ça me fait croire qu’à défaut de dégeler les élèves, il faut dégeler les frais de scolarité, tiens. Parce que nos étudiants veulent des professeurs passionnés, qui maîtrisent leur matière, qui les intéressent. Mais eux, qu’ont-ils à offrir en retour ? Sont-ils seulement conscients de la chance qu’ils ont de s’asseoir devant leurs enseignants à peu de frais ? Pour ma part, je me préoccupais beaucoup moins de ce qui pouvait arriver au tapis du salon quand j’étais locataire au lieu d’être propriétaire. S’ils paient un peu plus cher, peut-être accorderont-ils au moins autant d’importance à leur rôle en classe qu’à leur facture de cellulaire ou qu’à leur horaire de travail chez McDo. Peut-être seront-ils incités à devenir autre chose que cette « sombre copie inerte, impuissante [et] imposée à la vue de tous les curieux » dont parle Dielle Doran. Remarquez que c’est ce qu’on croyait, quand on a imposé la taxe à l’échec. Résultat ? On l’a éradiquée. Au lieu d’enlever au dormeur son oreiller, on a fermé un peu plus les rideaux, pour que la lumière ne perturbe pas son sommeil.

Si novembre peut finir… Parce qu’à part mon anniversaire, à la fin du mois, c’est le néant. En décembre, certains dormeurs réaliseront que, comme dans le poème de Rimbaud, ils ne sont pas endormis mais plutôt morts.

Mais je les aime. J’essaie de leur en vouloir, mais je les aime pareil. Tellement que je me sens généreux (encore) et que je veux faire plaisir à quelqu’un. Tiens, je leur propose une autre sortie éducative. Un cadeau pour Noël.

SL

vendredi 9 novembre 2007

(con)Doléances régionales

Le Quotidien de Chicoutimi annonce aujourd’hui que le Père Noël passera avant le 25 décembre. En effet, quelques médecins de l’hôpital L’Enfant-Jésus de Québec sont appelés en renfort et consentent à donner 2-3 jours par semaine à l’hôpital de Chicoutimi d’ici les Fêtes. Le gars de région que je suis ne peut que se réjouir d’une telle nouvelle. C’est le fun de savoir que l’autoroute qui traversera le parc des Laurentides jusqu’à Chicoutimi, dans quelques années, ne servira pas qu’à faire fuir à plus grande vitesse les jeunes de là-bas. La pénurie de médecins est un problème criant dont j’ai été témoin de visu. Mes parents, au Lac-Saint-Jean, ont dû parcourir plus de 40 kilomètres pour se trouver un nouveau médecin de famille, il y a quelques années.

Le docteur Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, fier d’annoncer la collaboration de L’Enfant-Jésus, affirme que c’est à Chicoutimi qu’on trouve « le problème le plus grave de pénurie au Québec. Ce n'est pas en en prenant ailleurs qu'on va le régler ».

Autrement dit, on met un cataplasme sur une jambe de bois.

Ironie du sort, cette nouvelle paraît le 9 novembre, date anniversaire du décès de mon oncle Normand, il y a 12 ans. Mort d’un cancer de l’estomac. Il est fort, le cancer. C’est le salaud des salauds. Le seul qui sera parvenu à venir à bout de mon oncle Normand, « le tough des tough », pour paraphraser Dédé Fortin. Mon oncle Normand, il a travaillé dans les chantiers ; il y a même laissé un œil : d’aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours connu avec son œil de vitre. Mon oncle Normand, il aura travaillé jusqu’à sa mort pour l'usine Donohue à Notre-Dame-de-la-Doré le village natal du poète Gilbert Langevin. Comme Langevin, mon oncle Normand aura été un bâtisseur, lui aussi. Le bois, il en faisait ce qu’il voulait. Il tenait ça de son père (mon grand-père maternel), Rosaire. C’est mon oncle Normand qui m’a conçu un tacot en bois avec essieu articulé, quand j’étais ti-cul. Quelques heures et c’était réglé. Il rirait de son rire gras, mon oncle Normand, aujourd’hui, s’il voyait que son neveu a remis à l’an prochain la rénovation de son perron de 4 pieds par 8 pieds parce que pour ledit neveu, c’est un défi plus grand que d’écrire un texte sans faute. C’est aussi mon oncle Normand qui a conçu en quelques minutes le lutrin de bois massif que j’utilise encore aujourd’hui, 25 ans plus tard, quand je pratique mon instrument.

À sa mort, le 9 novembre 1995, mon oncle Normand a laissé dans le deuil sa femme, ses deux gars, ses petits-enfants, mais aussi mon père. Mon oncle Normand, c’était le meilleur ami de mon père ça, je l’ai appris tout récemment, il y a moins d’un an. Parce que mon père n’a jamais montré que la mort de son ami lui faisait mal. Qu’il s’ennuyait de ne plus recevoir la visite de Normand, chaque vendredi soir. Il n’a jamais avoué devant moi que ça lui manque que mon oncle Normand vienne empester la maison familiale de sa fumée de cigarette. Parce que mon père aimait voir mon oncle animer la soirée, faire rire le monde, sacrer comme un gars de chantier ce qu’il avait été, de toute façon , et surtout jouer de l’accordéon, quitte à ce que la maison soit enfumée. Parce que mon père doit trouver aujourd’hui que ça ne sent plus assez la cigarette le vendredi soir.

Après le décès de mon oncle Normand, mon père n’a eu pour commentaire que d’affirmer, en désignant du menton les quatre murs de sa maison, qu’« il y a beaucoup de lui, ici d’dans ». Il faisait ce qu’il voulait avec le bois, mon oncle Normand, je vous dis. Il a mis à contribution plus d’une fois ses talents de rénovateur, entre autres, au profit de mes parents. Lorsqu’il a donné une cure de jouvence à ses armoires de cuisine dernièrement, mon père a dû je parierais là-dessus s’imaginer la facilité avec laquelle mon oncle Normand se serait acquitté de cette tâche. Les yeux même celui en vitre fermés.

Mon oncle Normand portait en lui deux essences qu’on ne trouve dans aucun type de bois : la générosité et l’abnégation. Sur son lit d’hôpital, le jour où il y est entré pour ne plus en ressortir, il a confié à sa femme le regret de ne pas pouvoir, ce jour-là, aller ramoner la cheminée d’Untel, à qui il avait promis de le faire. Même ça ; il faisait même ça, en plus de tout le reste.

Il y a un nœud, par contre, qu’il n’aura pas réussi à vaincre : accepter sa maladie. La laisser s’insinuer hypocritement en lui, s’abandonner à cette possession sournoise qui allait le déposséder, à 57 ans, de tout ce qu’il avait de plus cher. Et cette impossibilité d’accepter qu’il allait mourir, il n’a jamais dû l’avoir collée en pleine la face autant que ce jour de septembre 1995 où il a dû parcourir les quelque 300 kilomètres qui séparent Notre-Dame-de-la-Doré de Québec. Parce que c’est dans la Capitale que mon oncle Normand est venu apprendre qu’il ne verrait pas sa retraite. Moi, je suis venu à Québec apprendre mon métier, apprendre l’amour, apprendre ce que je veux de ma vie pour les prochaines décennies ; mon oncle Normand, lui, est venu à Québec se faire montrer de quoi il allait mourir.

Parce qu’au Lac-Saint-Jean, on manquait de spécialistes. Sinon, s’est-il sûrement dit, on ne lui aurait pas demandé de faire 600 kilomètres aller-retour dans l’angoisse d’apprendre, à l’aller, et dans l’angoisse de savoir, au retour. Parce que plus encore que les images d’horreur que m’ont raconté les sœurs de mon oncle Normand (dont ma mère) à propos de son déclin rapide, c’est l’image de cet homme vidé de son entrain, asséché de l’amour du bois et des autres, dépouillé de sa vie, qui doit seul, même sans sa femme, traverser le parc des Laurentides quelques heures après avoir appris que ce sera la dernière fois, que les 24 images/seconde du rouge et jaune de la forêt qui défile de chaque côté de lui, elles s’éloignent pour ne pas revenir c’est cette image, bref, qui me hante encore et m’attriste.

Mon oncle Normand serait mort quand même du cancer de l’estomac. C’est sûr. Seulement, si le Lac avait détenu son lot de spécialistes, on l’aurait exempté de 600 kilomètres d’un stress qu’il ne pouvait pas se permettre, déjà à ce moment.

Serge Lemelin, l’auteur de l’article du Quotidien, indique que Chicoutimi attend aussi des nouvelles du CHUL, qui pourrait contribuer à son tour à panser quelques-unes des plaies de la région.

J’espère seulement que la nouvelle quelle qu’elle soit ne paraîtra pas dans le journal du 4 mars prochain. Ce jour-là marquera le cinquième anniversaire de la mort de mon oncle Joachim, mort du cancer du foie, celui-là. Lui aussi, il est allé apprendre ailleurs qu’il abandonnerait son chum mon père , les vendredis soirs.


SL