Quand j'ai acheté ma première voiture, ma mère m'a payé ma première année d'assurances, incapable de me payer l'auto elle-même. Mes parents n'avaient pas les moyens non plus de payer mes frais de scolarité d'universitaire. Je sais que ça les a tracassés, qu'ils auraient donné de leur santé pour m'enlever ce fardeau - qui n'a pas été si lourd que ça, après tout.
Samedi, j'ai décidé de donner à ma mère la satisfaction posthume de m'avoir offert un superbe cadeau. Bien sûr, j'aurais déchiré le chèque que mon père m'a refilé les yeux humides, en échange du retour de ma mère. Mais les choses étant ce qu'elles sont, je sais que ma mère doit sourire de contentement, quelque part au-dessus du monde.
C'est grâce à ma mère que j'use des cordes de guitares depuis 26 ans. C'est maman qui m'a transmis non seulement cette passion pour la musique mais surtout ce talent musical, cette oreille musicale qui aura animé toute la famille Martel, de père en fils et filles. J'aurai eu le plaisir de voir des oncles secouer les accordéons, échiner les guitares, ébranler les pianos, faire vibrer leurs cordes vocales. Aucun n'aura joué professionnellement de la musique; ils sont/étaient beaucoup trop humbles pour se croire le droit de se produire devant un public autre que la famille.
J'aurai eu la chance inouïe de prendre connaissance jeune (à 8 ans) de ce talent; j'aurai eu la chance encore plus inouïe d'avoir une mère qui m'aura encouragé à le développer, qui m'aura payé des cours de guitare. Et qui m'aura donné la confiance qu'il faut pour attraper une guitare et la faire couiner devant des étrangers.
En janvier 1983, j'avais 8 ans. Je ne connaissais de la guitare que le manche et la rosace - et encore, je ne connaissais pas le nom des deux parties du corps de cet instrument fascinant qui recelait une puissance tranquille. Ma mère m'avait proposé, l'automne précédent, de m'inscrire à des cours de guitare, parce que de la musique, chez elle, tout n'était qu'instinctif, tout ne se faisait qu'à l'oreille. Au retour des Fêtes, le professeur de guitare avait téléphoné à ma mère pour lui apprendre que le nombre d'inscriptions était insuffisant, que cours de guitare il n'y aurait pas. Ma mère, déçue pour moi et trop consciente de la déception de son fils, avait rappelé le professeur, lui avait demandé s'il accepterait de donner des cours privés, quitte à venir chez nous. On aménagerait bien un local pour ce faire, c'était un détail.
Réjean, mon premier prof de guitare, n'avait jamais considéré l'éventualité de donner des cours privés. Il avait été séduit par l'idée. Aujourd'hui, son école de musique existe depuis près de 20 ans. J'aime croire que ma mère aura eu un rôle, ne serait-ce qu'infime, dans le développement de la mentalité d'affaires de cet homme.
Pendant trois ou quatre ans, Réjean est venu à la maison m'apprendre les rudiments de la guitare. Nombre de fois ma mère a entrouvert les portes françaises qui protégeaient mes modestes débuts pour entonner ce que Réjean m'apprenait. Rapidement, il a vu qu'il venait d'être parachuté dans une famille au sein de laquelle on gobait la musique à grandes bouffées.
À l'âge de 16 ans, j'étais le premier professeur de musique de l'école de Réjean. Ainsi, mes premières armes dans l'enseignement, c'est derrière une guitare et devant des néophytes de 5 à 60 ans que je les aurai faites, dans le sous-sol désordonné d'une grande maison qui n'était pas sans rappeler le labyrinthe dans lequel louvoie Buffalo Bill, dans Le silence des agneaux.
En janvier dernier, Réjean est passé au salon funéraire, il est venu rendre hommage à ma mère à sa façon. Trop de fois il l'avait entendue chanter, il l'avait vue assister à tous mes spectacles au Lac-Saint-Jean, il l'avait vue se présenter à chacun des concerts de l'école de musique, même si elle savait qu'elle ne verrait que des prestations de débutants ou presque. Elle s'en balançait; elle venait voir le résultat de l'enseignement de son fils. Elle venait peut-être se convaincre qu'elle avait donc été avisée de me brasser la cage, au milieu des années 1980, après que j'aie abandonné mon instrument pendant huit mois. Huit mois au terme desquels j'avais oublié des accords, des mélodies; au terme desquels mes doigts avaient oublié comment marcher.
***
Samedi, j'ai remercié ma mère pour un legs plus important encore que le goût des mots. J'ai appris des chansons et tous mes accords à la guitare avant de lire le premier livre qui allait me convaincre de choisir l'univers de la littérature.
Samedi, j'ai acheté ce qui sera peut-être la seule guitare aussi dispendieuse de toute ma vie. Ma mère aurait voulu me l'offrir, j'en suis convaincu. Pour elle, c'eût été un juste retour des choses. La Telecaster Thinline, modèle 1972, que j'ai ramenée à la maison samedi a traversé les générations. Je l'ai nommée Rosie. Toutes mes guitares portent un nom; celle-là seule est nommée d'après quelqu'un qui m'a été proche, ma mère. Celle-là seule porte un nom noble - toutes les autres sont inspirées de criminelles plus ou moins célèbres (une fantaisie de ma part).
Rosie a une touche délicate, la plus tendre qui soit. Je sais qu'elle me fera faire de petits miracles dans mon band de blues.
Et chaque fois que je la caresserai, je penserai à la main de ma mère que j'ai tenue jusqu'à moiteur, le dernier jour de sa vie. Et j'imaginerai bien ma mère qui opine du chef, qui me tient encore la main et sourit, quelque part au-dessus du monde, en observant que certaines richesses traversent les générations.
SL
Samedi, j'ai acheté ce qui sera peut-être la seule guitare aussi dispendieuse de toute ma vie. Ma mère aurait voulu me l'offrir, j'en suis convaincu. Pour elle, c'eût été un juste retour des choses. La Telecaster Thinline, modèle 1972, que j'ai ramenée à la maison samedi a traversé les générations. Je l'ai nommée Rosie. Toutes mes guitares portent un nom; celle-là seule est nommée d'après quelqu'un qui m'a été proche, ma mère. Celle-là seule porte un nom noble - toutes les autres sont inspirées de criminelles plus ou moins célèbres (une fantaisie de ma part).
Rosie a une touche délicate, la plus tendre qui soit. Je sais qu'elle me fera faire de petits miracles dans mon band de blues.
Et chaque fois que je la caresserai, je penserai à la main de ma mère que j'ai tenue jusqu'à moiteur, le dernier jour de sa vie. Et j'imaginerai bien ma mère qui opine du chef, qui me tient encore la main et sourit, quelque part au-dessus du monde, en observant que certaines richesses traversent les générations.
SL
2 commentaires:
Frérot,
Tu as bien raison : Rosanne sourit probablement à te voir trépigner devant ce bel instrument alors que tu l'apprivoises avec, je t'imagines, les yeux pétillants d'un petit garçon de 8 ans qui apprend ses premiers accords.
Quel bel hommage tu rends à ta maman que j'ai malheureusement trop peu connue. Encore une fois, tes mots me touchent...
G.
p.s. tu sais à quel point j'aime le blues ;)
Mon Frère,
Quel hommage magnifique tu rends à notre douce maman. C'est tendre et doux mais aussi très dur et douloureux pour moi de le lire. Maman est fière de ton achat et elle continuera de fredonner les paroles des chansons que tu entammeras avec Rosie, à ton oreille. ELle est fière que tu exploites ce don musical qu'elle t'as transmis. Dommage qu'elle ne puissent assister aux futurs concerts que donnera Rosie...
H.
14 mars 23:27
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