Je n'ai jamais aimé la messe du 24 décembre.
Quand j'étais plus jeune, c'était parce qu'elle agissait comme une espèce de tampon entre l'arrivée de la visite et la distribution des cadeaux ainsi que le moment où ma tendre mère exhibait toute la bouffe qu'elle avait amoureusement préparée dans le mois de l'Avent.
Aujourd'hui, ma mère n'est plus, les cadeaux sont déballés le 25 en après-midi. Et je continue de ne pas aimer la messe du 24 décembre.
Cette année, j'y étais avec mon père et mon frère. Et j'ai encore une fois éprouvé ce sentiment d'amour-haine avant, pendant et après la messe de Noël.
L'église Saint-Charles-Borromée, dans le Trait-Carré à Québec, est magnifique. Mais son jubé est mal conçu : au lieu d'être construit en gradins, comme dans la majorité des églises, il est plutôt plat. Résultat : depuis la huitième rangée du jubé, on voit à peine l'autel et le sanctuaire, et on éprouve une sensation d'étouffement qui n'a rien pour faire oublier le reste des désagréments.
Car le pire des désagréments, celui qui me fait à ce point ne pas aimer la messe du 24 décembre, c'est l'irrévérence. L'irrévérence des badauds qui s'attroupent dans une église parce qu'il n'y a pas de match de hockey pour les faire patienter pendant que cuit la dinde. Des ignares qui ne savent pas qu'on se tait dans une église, qu'on soit croyant ou pas. Tout le monde n'aime pas les livres, mais tout un chacun sait qu'il faut observer le silence dans une bibliothèque. Or, une église est une bibliothèque; une bibliothèque dont l'unique Livre raconte l'histoire des civilisations occidentales, mais aussi le passé et la tradition de chacun des humains qui s'y masse. L'histoire est éculée, certes, peut-être même que sa finale est prévisible (Jésus-Christ ressuscite chaque année - on a délaissé Jason Voorhees, Freddy Krueger et Michael Myers pour bien moins de retours anticipés); peut-être encore qu'elle ne comporte pas assez d'effets spéciaux ou qu'il faudrait qu'elle soit lue sur une trame sonore garnie des hits des Black Eyed Peas et de Lady Gaga. Peut-être encore que certains sont lassés de se faire raconter une histoires dans laquelle le bon gars gagne à la fin : après tout, qui n'a pas aimé la finale du Silence des agneaux qui montre ce bon vieux gastronome d'Hannibal qui se fond dans un paysage sud-américain, libre comme l'air?
Je me relis et je me trouve vieux jeu. Je crois entendre mon père, un homme de 66 ans qui tient à certains principes et, surtout, qui est parfois bien grincheux. Surtout depuis que maman est morte.
Mais mon père connaît les vertus du silence. Trop bien, sans doute. Un de mes moments préférés de la messe de Noël, s'il en est un, c'est l'attente pendant les minutes qui précèdent le début de la messe. C'est là que sont chantés les cantiques de Noël. Et il ne faut pas me faire rater mes cantiques. "Minuit chrétien" est pour moi aussi propice à la méditation que le "Hallelujah" de Cohen. Hélas, rares sont les chanteurs d'église (des chanteurs du dimanche, donc...) qui savent atteindre la note clé qui en marque l'apothéose. Mais je suis sans doute trop exigeant. Il fallait voir mon père, cette année, laisser librement ruisseler les larmes sur ses joues ridées par le chagrin de la dernière année, sur un fond de "Minuit chrétien" bien grave. Franchement émouvant pour le fils que je suis.
Pendant ce temps, les idiots qui ont pris d'assaut l'église la plus proche des dépanneurs, question de pouvoir ramasser la dernière caisse de Coors Light tout de suite après la messe, discutent de la température, du vieil oncle qui va sans doute encore se saouler. Peut-être même l'oncle en question est-il là, quelque part, son flasque emmitouflé dans le manteau , prêt à être dégainé pour concurrencer le vin de messe du curé officiant (ça s'est vu, vous savez...).
Je suis sans doute vieux jeu. Croyant aussi, même si j'ai cessé de pratiquer il y a un moment, pour des raisons trop humaines. Mais j'abhorre la messe du 24 décembre parce qu'on ne la respecte pas. C'est un paradoxe regrettable. Chaque année, c'est immanquable, je passe une heure dans une église, là où je me sens habituellement en paix, à conspuer intérieurement les parents irresponsables qui ont traîné leurs enfants là où ils sont trop jeunes pour comprendre; à les conspuer de refuser de se soustraire à ceux qui, comme moi, cherchent un espace de recueillement, tandis que leurs insupportables mioches font savoir à tue-tête qu'ils n'ont pas d'affaire dans une église. Pas aussi jeunes. (Mes parents étaient/sont très pieux, et mon frère et moi n'avons pas mis les pieds dans une église avant l'âge de 6 ou 7 ans.)
Je déteste voir les gars agir comme des gars et les filles agir comme des filles. Voir un ado de 15 ans chercher à impressionner sa cousine parce que c'est la seule fille avec qui il est capable de s'offrir du temps; je déteste voir son cousin ou son ami, trois rangs devant moi, s'esclaffer chaque fois qu'un chanteur rate une note ou que le curé parle de la paix plutôt que de la guerre. Ça ne fait pas très masculin, propager la paix; il vaudrait bien mieux vanter le mérite des soldats canadiens - surtout ici, à une vingtaine de kilomètres de Valcartier, non?
Je me désole, chaque année, de cette tradition qui se perd. Je devrais plutôt dire de cette tradition qui persiste mais pour les mauvaises raisons. On va à la messe de Noël parce que c'est ce qu'il faut; parce qu'il faut y être vu; parce que c'est l'occasion pour le cousin de faire rire la cousine là où c'est interdit. Parce que c'est l'occasion pour les nouveaux parents de montrer à leur progéniture, avec condescendance, que c'est ici, dans ce genre de bâtiment, que les gens, autrefois, venaient prier le ti-Jésus, une sorte de Wilfred qui a gagné la compétition de son époque en acceptant de se faire crucifier live (non, Mégane, ça n'a pas été filmé) au lieu de frencher deux filles à la fois dans le spa à V-Télé (non, Louis-William-Éloi-Guillaume, tu ne peux pas texter ton vote pour Jésus).
Je secoue la tête, encore cette année, en voyant les bancs se vider après la communion. Surveillez-les bien : ce sont vos oncles, vos tantes ,vos cousins et cousines qui partiront de chez vous repus avant le moment de faire la vaisselle.
Je suis grincheux. Ça me fait penser que je dois aller voir Scrooge. Parce que ça me tente. Comme ça me tentait d'aller à la messe de Noël, parce que trop souvent ces dernières années, je ne pouvais y aller et je m'en désolais.
Je me désole aussi de cette visite à l'église, le 24 décembre, qui est aussi vide de sens pour un grand nombre de gens que s'ils avaient opté pour la Fudgerie Doucinet, un musée du chocolat qui se trouve à quelques pas de l'église. Je ne suis plus praticant, mes motifs n'ont donc rien de propagandiste. Je pense comme Pierre Bourgault, qui, il y a une dizaine d'années, s'était opposé à la laïcisation des écoles, alors qu'il avait des tonnes de reproches à adresser à l'Église catholique.
La religion fait partie de l'Histoire. C'est ce dont j'aimerais que soient conscients les imbéciles qui vont étrenner leur nouveau manteau à l'église.
SL
Quand j'étais plus jeune, c'était parce qu'elle agissait comme une espèce de tampon entre l'arrivée de la visite et la distribution des cadeaux ainsi que le moment où ma tendre mère exhibait toute la bouffe qu'elle avait amoureusement préparée dans le mois de l'Avent.
Aujourd'hui, ma mère n'est plus, les cadeaux sont déballés le 25 en après-midi. Et je continue de ne pas aimer la messe du 24 décembre.
Cette année, j'y étais avec mon père et mon frère. Et j'ai encore une fois éprouvé ce sentiment d'amour-haine avant, pendant et après la messe de Noël.
L'église Saint-Charles-Borromée, dans le Trait-Carré à Québec, est magnifique. Mais son jubé est mal conçu : au lieu d'être construit en gradins, comme dans la majorité des églises, il est plutôt plat. Résultat : depuis la huitième rangée du jubé, on voit à peine l'autel et le sanctuaire, et on éprouve une sensation d'étouffement qui n'a rien pour faire oublier le reste des désagréments.
Car le pire des désagréments, celui qui me fait à ce point ne pas aimer la messe du 24 décembre, c'est l'irrévérence. L'irrévérence des badauds qui s'attroupent dans une église parce qu'il n'y a pas de match de hockey pour les faire patienter pendant que cuit la dinde. Des ignares qui ne savent pas qu'on se tait dans une église, qu'on soit croyant ou pas. Tout le monde n'aime pas les livres, mais tout un chacun sait qu'il faut observer le silence dans une bibliothèque. Or, une église est une bibliothèque; une bibliothèque dont l'unique Livre raconte l'histoire des civilisations occidentales, mais aussi le passé et la tradition de chacun des humains qui s'y masse. L'histoire est éculée, certes, peut-être même que sa finale est prévisible (Jésus-Christ ressuscite chaque année - on a délaissé Jason Voorhees, Freddy Krueger et Michael Myers pour bien moins de retours anticipés); peut-être encore qu'elle ne comporte pas assez d'effets spéciaux ou qu'il faudrait qu'elle soit lue sur une trame sonore garnie des hits des Black Eyed Peas et de Lady Gaga. Peut-être encore que certains sont lassés de se faire raconter une histoires dans laquelle le bon gars gagne à la fin : après tout, qui n'a pas aimé la finale du Silence des agneaux qui montre ce bon vieux gastronome d'Hannibal qui se fond dans un paysage sud-américain, libre comme l'air?
Je me relis et je me trouve vieux jeu. Je crois entendre mon père, un homme de 66 ans qui tient à certains principes et, surtout, qui est parfois bien grincheux. Surtout depuis que maman est morte.
Mais mon père connaît les vertus du silence. Trop bien, sans doute. Un de mes moments préférés de la messe de Noël, s'il en est un, c'est l'attente pendant les minutes qui précèdent le début de la messe. C'est là que sont chantés les cantiques de Noël. Et il ne faut pas me faire rater mes cantiques. "Minuit chrétien" est pour moi aussi propice à la méditation que le "Hallelujah" de Cohen. Hélas, rares sont les chanteurs d'église (des chanteurs du dimanche, donc...) qui savent atteindre la note clé qui en marque l'apothéose. Mais je suis sans doute trop exigeant. Il fallait voir mon père, cette année, laisser librement ruisseler les larmes sur ses joues ridées par le chagrin de la dernière année, sur un fond de "Minuit chrétien" bien grave. Franchement émouvant pour le fils que je suis.
Pendant ce temps, les idiots qui ont pris d'assaut l'église la plus proche des dépanneurs, question de pouvoir ramasser la dernière caisse de Coors Light tout de suite après la messe, discutent de la température, du vieil oncle qui va sans doute encore se saouler. Peut-être même l'oncle en question est-il là, quelque part, son flasque emmitouflé dans le manteau , prêt à être dégainé pour concurrencer le vin de messe du curé officiant (ça s'est vu, vous savez...).
Je suis sans doute vieux jeu. Croyant aussi, même si j'ai cessé de pratiquer il y a un moment, pour des raisons trop humaines. Mais j'abhorre la messe du 24 décembre parce qu'on ne la respecte pas. C'est un paradoxe regrettable. Chaque année, c'est immanquable, je passe une heure dans une église, là où je me sens habituellement en paix, à conspuer intérieurement les parents irresponsables qui ont traîné leurs enfants là où ils sont trop jeunes pour comprendre; à les conspuer de refuser de se soustraire à ceux qui, comme moi, cherchent un espace de recueillement, tandis que leurs insupportables mioches font savoir à tue-tête qu'ils n'ont pas d'affaire dans une église. Pas aussi jeunes. (Mes parents étaient/sont très pieux, et mon frère et moi n'avons pas mis les pieds dans une église avant l'âge de 6 ou 7 ans.)
Je déteste voir les gars agir comme des gars et les filles agir comme des filles. Voir un ado de 15 ans chercher à impressionner sa cousine parce que c'est la seule fille avec qui il est capable de s'offrir du temps; je déteste voir son cousin ou son ami, trois rangs devant moi, s'esclaffer chaque fois qu'un chanteur rate une note ou que le curé parle de la paix plutôt que de la guerre. Ça ne fait pas très masculin, propager la paix; il vaudrait bien mieux vanter le mérite des soldats canadiens - surtout ici, à une vingtaine de kilomètres de Valcartier, non?
Je me désole, chaque année, de cette tradition qui se perd. Je devrais plutôt dire de cette tradition qui persiste mais pour les mauvaises raisons. On va à la messe de Noël parce que c'est ce qu'il faut; parce qu'il faut y être vu; parce que c'est l'occasion pour le cousin de faire rire la cousine là où c'est interdit. Parce que c'est l'occasion pour les nouveaux parents de montrer à leur progéniture, avec condescendance, que c'est ici, dans ce genre de bâtiment, que les gens, autrefois, venaient prier le ti-Jésus, une sorte de Wilfred qui a gagné la compétition de son époque en acceptant de se faire crucifier live (non, Mégane, ça n'a pas été filmé) au lieu de frencher deux filles à la fois dans le spa à V-Télé (non, Louis-William-Éloi-Guillaume, tu ne peux pas texter ton vote pour Jésus).
Je secoue la tête, encore cette année, en voyant les bancs se vider après la communion. Surveillez-les bien : ce sont vos oncles, vos tantes ,vos cousins et cousines qui partiront de chez vous repus avant le moment de faire la vaisselle.
Je suis grincheux. Ça me fait penser que je dois aller voir Scrooge. Parce que ça me tente. Comme ça me tentait d'aller à la messe de Noël, parce que trop souvent ces dernières années, je ne pouvais y aller et je m'en désolais.
Je me désole aussi de cette visite à l'église, le 24 décembre, qui est aussi vide de sens pour un grand nombre de gens que s'ils avaient opté pour la Fudgerie Doucinet, un musée du chocolat qui se trouve à quelques pas de l'église. Je ne suis plus praticant, mes motifs n'ont donc rien de propagandiste. Je pense comme Pierre Bourgault, qui, il y a une dizaine d'années, s'était opposé à la laïcisation des écoles, alors qu'il avait des tonnes de reproches à adresser à l'Église catholique.
La religion fait partie de l'Histoire. C'est ce dont j'aimerais que soient conscients les imbéciles qui vont étrenner leur nouveau manteau à l'église.
SL