Après huit ans et demi d'attente, d'angoisse fréquente, d'exaspération occasionnelle, de rage, de résignation, de cynisme... je suis enfin permanent. On me l'a confirmé par courriel ce matin, et je recevrai la lettre de la Direction de mon collège dans les prochains jours - que je m'empresserai de faire laminer parce qu'elle est presque aussi significative que mes diplômes universitaires. J'exagère à peine.
Qu'est-ce que la permanence changera dans ma vie ? Mon meilleur chum me disait, délicieusement cynique, que je peux dorénavant commencer à me pogner le cul au travail; et moi de lui rétorquer que je peux non seulement pogner le mien mais aussi celui de mes collègues féminines : on ne peut plus me mettre à la porte, ou c'est tout comme.
Je blague, bien sûr. Parce que j'entretiendrai le même acharnement, la même passion pour ce métier que j'adore. Concrètement, la permanence ne change pas grand-chose à ma situation - j'enseigne à temps plein depuis 5 ans sans inquiétudes. Disons simplement qu'on me confirme que je peux croire que je pratiquerai le métier que j'aime pour le reste de ma carrière sans trop avoir à m'inquiéter. À moins que la crise économique ne fasse fermer les cégeps, faute de clientèle, plus vite encore que les églises (l'ADQ serait contente) ou que Charest ne décide, à l'aide du bâillon (son arme favorite), que la permanence ne garantit plus rien.
Étrangement, je suis plus heureux que je croyais l'être de cette nouvelle, bien que je ne sois pas plus riche ni plus ancien aujourd'hui. Et je ne peux m'empêcher de croire que ma joie a à voir avec mon appartenance à la génération X, celle qui ne l'a pas eu facile, qui a dû bûcher, contrairement aux boomers qu'on est venus chercher littéralement (j'en connais) sur les bancs d'école pour leur offrir du travail, ou aux rejetons de la génération Y, qui croient que tout leur est dû et qui ne se remettent que rarement en question. Cette permanence qu'on tend vers moi, c'est une victoire de plus dans le camp de ma génération.
Depuis ce matin, je goûte cette nouvelle qu'on m'a apprise, et je souris en me disant qu'hier, la journée déjà grise du ciel pluvieux l'était encore plus en raison de ce 37e anniversaire de mariage que mon père n'a pas célébré avec ma mère, doublé de l'anniversaire de mon frère, qui ne pouvait se retenir de penser avec nostalgie à ma tendre mère et aux cartes d'anniversaire qu'elle confectionnait elle-même pour ses fils. Je souris et je me demande si ma petite maman ne se gardait pas une carte cachée dans sa manche, juste à côté du mouchoir qui fricotait chaque jour avec le parfum de son poignet. Cré maman. Il y a de ces dons que la vie vous fait qui ne savent pas passer inaperçus.
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Voilà qui me fait penser à Plaxico Burress, l'ancienne vedette des Giants de New York, dans la NFL. Le receveur de passes format géant recevait hier en plein poitrine non pas un ballon mais bien sa sentence : deux ans de prison pour possession illégale d'une arme à feu et pour avoir mis la vie d'autrui en danger. Oui, c'est le même Plaxico Burress qui s'était fait arrêter l'an dernier après s'être tiré accidentellement une balle de revolver dans le pied...En entrevue à ESPN, Burress, philosophe à ses heures (pas tard, pas tard...), déclarait que quand il sortira de prison, il "disposer[a] toujours de cette capacité que Dieu [lui] a donnée d'attraper les ballons".
On a les dons qu'on peut. En méditant sur ces sages paroles de footballeur, je dois me réjouir qu'on m'ait fait don de savoir lire plus creux que d'autres dans les textes et d'avoir la plume plus leste que le revolver de Plaxico. Parce que me semble que c'est triste en géribouère d'avoir reçu, de tous les dons possibles, celui d'attraper un ballon...
SL