Je suis de retour, après plus d'un mois d'absence. Un mois au cours duquel ma mère a perdu son combat contre le cancer. Un mois au cours duquel je suis devenu encore un peu plus un homme. Un mois au cours duquel, étendu aux côtés de ma mère sur son lit d'hôpital, je lui ai fait des adieux déchirants. Un mois au cours duquel j'ai vu des choses que je ne pensais - que j'espérais - jamais voir : la douleur, le désespoir, la résignation, des larmes jusqu'à plus soif, des infractions à la dignité humaine, la dignité d'une femme qui a été fière, grande, saine.
J'ai vu des aberrations : j'ai vu le système de santé de l'intérieur; j'ai vu ses vains efforts mais aussi ses négligences. J'ai vu toute la merde que peut foutre la bactérie C Difficile, une absurdité qu'on observera en secouant la tête, dans cinquante ans, en se disant qu'il fallait bien aller à l'hôpital pour attraper des maladies qu'on n'attrape nulle part ailleurs. J'imagine que c'est ce qui se produit lorsqu'il y a plus de syndicats que de chirurgiens dans la bâtisse; lorsque le concierge qui lave les murs n'a pas le droit de laver le plancher, sous peine de grief, et lorsque le pauvre type qui lave le plancher n'a pas le droit d'alerter les infirmiers lorsque la patiente remue de douleur - sous prétexte que parler au personnel médical ne fait pas partie de sa définition de tâche.
J'ai vu des moutons de poussière sous le lit de ma mère, tandis qu'elle se trouvait dans le coma, l'avant-dernier chapitre avant la fermeture de son livre. J'ai vu des coulisses sur les murs; des chaises en cuir fendu issues des années 1960. Nous sommes au Québec, pas au Kosovo.
Malgré tout, j'ai décidé de focaliser sur la possibilité de rendre hommage à ma mère. J'aurai au moins eu cette chance. Voici la transcription du texte que j'ai composé pour maman et que j'ai lu pendant les funérailles, à l'église.
La tentation est forte de décliner tout ce que ma mère va manquer; seulement, je ne céderai pas. Au contraire. J’ai plutôt envie de relever une partie de tout ce dont elle aura été témoin. C’est nettement plus satisfaisant.
Elle a accompagné tous mes instants scolaires, de la pré-maternelle à la maîtrise. Elle a immortalisé mon premier jour d’école sur photo et a assisté à ma collation des grades il y a 6 ans. La fierté a eu le temps de fleurir en elle.
Elle m’a vu compter tous mes buts au hockey – il n’y en a pas eu beaucoup, mais quand même.
Elle a épongé ma première peine d’amour.
Elle a vu tous les emplois que j’aurai occupés, du plus exécrable à celui qui allait devenir ma vocation.
C’est elle qui m’a accueilli à la maison après l’achat de ma première auto. Le parcours de sa main le long de mon bras en disait long. Bien sûr, j’ai lu toute la fierté que le geste signifiait.
Elle a vu, plusieurs fois, ma maison, à Québec. Elle y a laissé des traces indélébiles. Elle y a vu que j’y serais bien.
Elle m’a vu trouver la femme de ma vie. Elles ont même eu la chance de se connaître.
Elle a pu assister au lancement de mon premier livre.
Surtout, elle a vu – brièvement, mais quand même - sa petite-fille. Elle s’est reconnue dans ses yeux, dans ses gestes; elle s’y reconnaîtra dans ses valeurs, que j’ai promis d’entretenir chez ma fille.
Elle a vu le bonheur de mon père pendant 36 ans.
Et tout récemment, elle a eu le temps d’entendre, enfin, tout le bien que je pense d’elle.
Ton influence aura été notoire, maman. C’est à toi que je dois la musique, la littérature, l’importance de l’écriture, mes qualités d’orateur, mon perfectionnisme, ma méthode, ma rigueur, mon caractère passionné. Tout ça et bien plus encore qui retiendrait tout le monde ici pendant des heures. Je m’arrête là parce que je sais que tu ne voudrais pas déranger les gens aussi longtemps.
Le 22 janvier, la terre a tremblé; mais elle a aussi laissé s’élever une grande âme qui a promis de me guider.
Le plus triste, lorsqu’une personne d’une telle grandeur s’éteint, c’est qu’aucune autre semblable n’apparaît pour redonner au Monde son équilibre.
SL
J'ai vu des aberrations : j'ai vu le système de santé de l'intérieur; j'ai vu ses vains efforts mais aussi ses négligences. J'ai vu toute la merde que peut foutre la bactérie C Difficile, une absurdité qu'on observera en secouant la tête, dans cinquante ans, en se disant qu'il fallait bien aller à l'hôpital pour attraper des maladies qu'on n'attrape nulle part ailleurs. J'imagine que c'est ce qui se produit lorsqu'il y a plus de syndicats que de chirurgiens dans la bâtisse; lorsque le concierge qui lave les murs n'a pas le droit de laver le plancher, sous peine de grief, et lorsque le pauvre type qui lave le plancher n'a pas le droit d'alerter les infirmiers lorsque la patiente remue de douleur - sous prétexte que parler au personnel médical ne fait pas partie de sa définition de tâche.
J'ai vu des moutons de poussière sous le lit de ma mère, tandis qu'elle se trouvait dans le coma, l'avant-dernier chapitre avant la fermeture de son livre. J'ai vu des coulisses sur les murs; des chaises en cuir fendu issues des années 1960. Nous sommes au Québec, pas au Kosovo.
Malgré tout, j'ai décidé de focaliser sur la possibilité de rendre hommage à ma mère. J'aurai au moins eu cette chance. Voici la transcription du texte que j'ai composé pour maman et que j'ai lu pendant les funérailles, à l'église.
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Le principal défaut des Martel, c’est qu’ils meurent trop jeunes. Malheureusement, ma mère, elle aussi, est partie trop tôt. Pour cette raison, sans doute, et bien d’autres, les premières pensées qui me viennent à l’esprit ne se disent pas dans une église.La tentation est forte de décliner tout ce que ma mère va manquer; seulement, je ne céderai pas. Au contraire. J’ai plutôt envie de relever une partie de tout ce dont elle aura été témoin. C’est nettement plus satisfaisant.
Elle a accompagné tous mes instants scolaires, de la pré-maternelle à la maîtrise. Elle a immortalisé mon premier jour d’école sur photo et a assisté à ma collation des grades il y a 6 ans. La fierté a eu le temps de fleurir en elle.
Elle m’a vu compter tous mes buts au hockey – il n’y en a pas eu beaucoup, mais quand même.
Elle a épongé ma première peine d’amour.
Elle a vu tous les emplois que j’aurai occupés, du plus exécrable à celui qui allait devenir ma vocation.
C’est elle qui m’a accueilli à la maison après l’achat de ma première auto. Le parcours de sa main le long de mon bras en disait long. Bien sûr, j’ai lu toute la fierté que le geste signifiait.
Elle a vu, plusieurs fois, ma maison, à Québec. Elle y a laissé des traces indélébiles. Elle y a vu que j’y serais bien.
Elle m’a vu trouver la femme de ma vie. Elles ont même eu la chance de se connaître.
Elle a pu assister au lancement de mon premier livre.
Surtout, elle a vu – brièvement, mais quand même - sa petite-fille. Elle s’est reconnue dans ses yeux, dans ses gestes; elle s’y reconnaîtra dans ses valeurs, que j’ai promis d’entretenir chez ma fille.
Elle a vu le bonheur de mon père pendant 36 ans.
Et tout récemment, elle a eu le temps d’entendre, enfin, tout le bien que je pense d’elle.
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Ma mère a vu rapidement que j’étais passionné du sport – du sport de salon, mais quand même. Elle est partie pendant le congé du Match des étoiles de la Ligue nationale de hockey. Pouvait-il y avoir un moment plus approprié pour qu’on retire son chandail de mère ? Car elle a désormais sa place parmi les étoiles. De son vivant, elle ne l’aurait jamais acceptée; « c’est trop d’honneurs », aurait-elle dit.Ton influence aura été notoire, maman. C’est à toi que je dois la musique, la littérature, l’importance de l’écriture, mes qualités d’orateur, mon perfectionnisme, ma méthode, ma rigueur, mon caractère passionné. Tout ça et bien plus encore qui retiendrait tout le monde ici pendant des heures. Je m’arrête là parce que je sais que tu ne voudrais pas déranger les gens aussi longtemps.
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Le 22 janvier, la terre a tremblé; mais elle a aussi laissé s’élever une grande âme qui a promis de me guider.
Le plus triste, lorsqu’une personne d’une telle grandeur s’éteint, c’est qu’aucune autre semblable n’apparaît pour redonner au Monde son équilibre.
SL